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mardi, 25 janvier 2011

Qui a peur de Virginia Woolf (2)

qui-a-peur-de-virginia-woolf-franck-perrogon-01.jpgL'un des huis clos les plus féroces du répertoire théâtral contemporain, Qui a peur de Virginia Woolf, dans une nouvelle traduction de Daniel Loayza, est mis en scène par Dominique Pitoiset, qui en est également l'interprète aux côtés de Nadia Fabrizzio.

 

Quatre personnages y partagent la scène, deux couples de deux générations différentes.  Sur le campus universitaire de la Nouvelle Carthage, un samedi soir. Les enseignants et leurs épouses sont invités comme chaque semaine chez le président de l’Université, le père de Martha, pour y faire la connaissance des nouveaux venus.

 

Quand Martha et son mari George rentrent chez eux à deux heures du matin, ils sont saouls et épuisés, mais Martha annonce à George qu’elle a invité  un jeune enseignant et sa femme, nouveaux sur le campus. Lorsque Nick et Honey arrivent, ils sont entraînés dans des jeux et des règlements de compte, dont ils ne se contentent pas d’être les arbitres, mais des joueurs à part entière, malgré eux, sans connaître les règles complexes et mouvantes fixées par George et Martha.

 

C’est le début d’une guerre des mots où tout est permis. Au cœur de cette guerre, il y a l’allusion au fils de George et Martha, qui doit rentrer le lendemain pour son anniversaire, et que les deux personnages utilisent comme arme l’un contre l’autre. Mais il est aussi question des parcours de vie de ces deux couples que tout oppose, et des spécialités respectives de George et Nick, l’Histoire et la Biologie. C’est d’abord George qui fait les frais des attaques, humilié par Martha qui décrit son incapacité à reprendre la direction de l’Université et son manque de virilité, puis c’est contre les invités que la violence se retourne, quand George raconte l’histoire d’un jeune couple arriviste et sans amour ressemblant trait pour trait à Nick et Honey.

 

Quand George annonce à Martha que leur fils a été tué et qu’il ne rentrera pas, on comprend avec les invités que ce fils n’était qu’une invention une illusion construite tout au long de leur vie commune par les deux personnages, et dont ils doivent à présent se passer. Les masques tombent et chacun va se coucher au petit matin, seul avec ses peurs.

 

La guerre ? Oui, on dirait la guerre, celle qui n’en finit pas de revenir, sous toutes ses formes : guerre des sexes, des générations, des clans, des savoirs ; guerre aussi entre soi et soi-même. Une guerre aux mille facettes, ou mille lignes de front qui s’enchevêtrent, mille stratégies mouvantes, mille et une ruses tactiques qui ne cessent de transformer l’aspect du terrain.

Une question d’humanité : À chacun de s’y reconnaître comme il pourra, d’être sensible à tel ou tel enjeu. L’essentiel, c’est que cette guerre soit ressentie comme étant la nôtre, et donc comme actuelle, encore et toujours.

Comment faire pour que la pièce, jouée en 2009, n’apparaisse pas comme une pièce historique, sans plus ? Edward Albee lui-même semble s’être posé la question. En 2005, à l’occasion d’une reprise à Broadway, il a en effet retouché en ce sens son texte sur certains points (les allusions à un avortement de Honey ont été fortement atténuées : de fait, depuis la décision de la Cour Suprême américaine dans le cas Roe vs Wade en 1973 qui a décriminalisé l’interruption de grossesse, le choix de Honey ne porte plus la même charge de scandale).

Comment faire, donc, pour que le public d’aujourd’hui accède à la profonde actualité de l’œuvre? En jouant le texte dans un décor qui se fasse oublier – lumière nocturne, grand canapé, bouteilles – et en le jouant dans tout son tranchant, dans une traduction nouvelle, scrupuleusement fidèle, de sa version la plus récente. À titre personnel, et peut-être parce que je vais me charger de ce rôle-là, je suis particulièrement sensible à la lutte qui oppose George, l’homme des lettres et du «passé» (qui se rêve plus ou moins consciemment en père de son jeune hôte), à Nick, l’homme des sciences et de l’«avenir» (qui tient fugacement lieu de fils imaginaire de son aîné).

C’est-à-dire au conflit entre ceux qui n’ont pas su ou voulu se mesurer au pouvoir et ceux qui trouvent tout naturel d’être ambitieux et de réussir à tout prix. Car il me semble que cette bataille-là fait rage aujourd’hui. Mais les autres ne sont pas moins importantes. Et si je parvenais à faire éprouver, l’espèce de paix désespérée qui demeure, par-delà le fracas de toutes les armes, comme l’ultime secret unissant George et Martha – si je parvenais à faire entendre comment ils parviennent à se tendre la main et à se toucher à travers toutes les ruines, j’aurais vraiment atteint mon but.

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lundi, 24 janvier 2011

Qui a peur de Virginia Woolf ? (1)

220px-Edward_Albee.jpgPour le grand public, Edward Albee reste avant tout l'auteur de Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who's Afraid of Virginia Woolf ?). Cette pièce fut précédée de quelques autres, plus brèves (Zoo Story, Le Tas de sable [The Sandbox], La Mort de Bessie Smith [The Death of Bessie Smith] et Le Rêve de l'Amérique [The American Dream]). Elle fut la première à être montée à Broadway, en 1962. Par son succès, elle assura à son auteur la célébrité. Qui a peur de Virginia Woolf ?, dont le titre saugrenu est emprunté à une inscription murale, devait tenir l'affiche quinze mois, être enregistrée sur disques, tournée en film et présentée un peu partout dans le monde (à Stockholm dans une mise en scène d'Ingmar Bergman, ou à Paris dans une mise en scène de l'Italien Franco Zeffirelli).
Edward Albee est un auteur dramatique américain né le 12 mars 1928 à Washington, D.C. (États-Unis). Adopté deux semaines après sa venue au monde par Reed et Frances Albee, un couple ayant fait fortune dans le monde du spectacle, il eut l’occasion de côtoyer très jeune le monde des théâtres dont son père adoptif était propriétaire. Malgré une scolarité plutôt chaotique, Edward Albee commence rapidement à écrire des poèmes, des pièces et des nouvelles, puis se met à fréquenter des artistes et des intellectuels, malgré le désaccord de sa mère. Cette dernière le met à la porte et l'exclut de son testament lorsqu'il a 18 ans, en raison de son homosexualité. En 1990, Edward Albee exprime ses sentiments vis-à-vis d'elle dans Three Tall Women en s’assumant comme comme « figlio-di-nessuno » (fils de personne). Il sera récompensé pour cette pièce par un troisième Prix Pulitzer en 1994, les deux premiers lui ayant été attribués en 1967 pour A Delicate Balance et en 1975 pour Seascape.
Il est également l'auteur de Zoo Story montée à Berlin en 1959 avant de l’être à Broadway l’année suivante par Alan Schneider. La pièce se rattache à l'absurde par la situation de base – deux hommes se rencontrent sur un banc – et par l'ambiguïté symbolique de la fin – l'un des deux s'empale volontairement sur le couteau qu'il vient de donner à l'autre.
The Sandbox, pièce dédiée à sa grand-mère maternelle (1960), Qui a peur de Virginia Woolf ? (1963), et The Play about the Baby (2001). Par le biais de l'absurde, de l'existentialisme et de métaphysique, Edward Albee critique dans ses pièces la condition moderne et la vie américaine.
En 2005, Edward Albee reçoit un prix Special Tony Award pour Lifetime Achievement.

Who's Afraid of Virginia Woolf ? a été crée en 1962 par Melinda Dillon et Artur Hill à Broadway, puiq adaptée au cinéma en 1966, avec Elizabeth Taylor et Richard Burton (1925-1984) par Ernest Lehman (le scénariste de la Mort aux Trousses), dans une mise en scène de Mike Nichols. Les deux acteurs s’étaient épousés le 15 mars 1964, ont divorcé le 26 juin 1974, se sont remariés le 10 octobre 1975 et ont à nouveau divorcé le 1er août 1976.

Paul Watzlawick, philosophe et psychanalyste est l’un des auteurs les plus prolifiques et les plus reconnus de l’équipe du Mental Research Institute de Palo Alto en Californie. Cette célèbre école, fondée par Gregory Bateson, bouleversa la psychologie par la richesse de ses recherches sur la communication. Elle fonda les thérapies brèves, l’approche systémique en particulier, et révolutionna les thérapies familiales, en particulier par sa théorie de l’interaction entre les individus, de la double contrainte (double bind) comme contexte étiologique de la schizophrénie. Dans un livre paru en 1979, Une logique de la communication, c’est sur la longue scène de ménage dont Qui a peur de Virginia Woolf fournit le modèle que Watzlawick s’appuie pour expliquer au public cette notion, faisant de la pièce de Albee un support de son analyse systémique de la communication.

Virginia Woolf (25 janvier 1882 - 28 mars 1941) est une femme de lettres anglaise et une féministe, qui introduisit dans la littérature la technique du monologue narrativisé (Mrs Dalloway - 1925). Elle est considérée comme l'une des romancières du XXe siècle les plus grandes innovatrices dans la langue anglaise. Dans ses œuvres, elle expérimente avec acuité les motifs sous-jacents de ses personnages, aussi bien psychologiques qu'émotifs, ainsi que les différentes possibilités de la narration et de la chronologie morcelées. Pendant l'entre-deux-guerres, elle fut une figure marquante de la société littéraire londonienne et un symbole de la modernité. L'étude de sa vie et de ses œuvres par les psychiatres contemporains conduit à penser qu'elle présentait tous les signes de ce qu'on nomme aujourd'hui « trouble bipolaire » (anciennement psychose maniaco-dépressive), maladie mentale alternant des épisodes de dépression et d'excitation, souvent associée avec une grande créativité mais conduisant bien des personnes au suicide. Dans la pièce d’Albee, les personnages jouent sur son nom (Woolf) pour parodier la chanson « Qui a peur du grand méchant loup » durant une soirée trop arrosée...

 

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samedi, 22 janvier 2011

Palo Alto

logo2.jpgL'Ecole de Palo Alto, aussi appelé Collège Invisible parce que regroupant des idées et théories, plus que des individus installés dans la ville, est une école dont le centre d'intérêt est de comprendre comment fonctionnent les interrelations entre individus et groupes, et particulièrement les interactions malades dans le cadre d'opérations thérapeutiques.  En observant comment les individus réussissent leurs actions, et aussi, pour reprendre une expression humoristique de Paul Watzlawick comment ils réussissent à échouer, l'école de Palo Alto a pu déterminer un certain nombre de règles régissant les individus entre eux. La plupart de ces règles sont respectées à leur insu, seul le manquement aux règles les fait apparaître. La théorie de la communication qu’ils élaborent est ainsi différente de celle présentée par les ingénieurs Shannon et Weaver  en raison de leur  approche pragmatique de la communication. Ce groupe de chercheurs innovant et, avec entre autres Gregory Bateson, Jay Haley, et Don Jackson, Paul Watzlawick va faire de cette Ecole de Palo Alto une référence dans les domaines des théories de la communication, de la psychothérapie et de la thérapie familiale.

Le fondateur : Gregory Bateson (1904-1980) et son groupe.

batesong.jpgAnthropologue d’origine anglaise, Bateson parcourait le monde dans le cadre de recherches en biologie.  En 1951, il publia, avec le psychiatre Jurgen Ruesch un livre intitulé Communication : The social matrix of psychiatry dans lequel il développait plusieurs concepts qui constituaient autant d’ébauches d’un tournant majeur dans l’appréhension des phénomènes de communication.

L’idée centrale de l’ouvrage consiste à concevoir la communication comme la matrice dans laquelle sont enchâssées toutes les activités humaines. Aussi, il élargit le champ de la communication à tous les processus par lesquels les individus s’influencent mutuellement et distingue 4 niveaux de communication : intrapersonnel (avec soi-même), interpersonnel (entre deux personnes), groupal (entre plusieurs personnes) et culturel  (entre de nombreux individus). ALors que dans les travaux mathématiques de type Shannon, la communication reposait sur l'émetteur et son intention d'envoyer un message (à un autre individu), Ruesch et Bateson partent du récepteur et sa perception d'impressions en provenance de lui-même, d'autres individus, de l'environnement. Ils en conclut que les êtres humains sont biologiquement contraints de communiquer.

En 1952, il reçoit une subvention de la fondation Rockfeller pour étudier les « paradoxes de l’abstraction dans la communication » : c’est la naissance du premier groupe de Palo Alto avec le « projet Bateson ».

Le projet débouche ainsi sur l’élaboration de la théorie du double-bind ou double contrainte formulée en 1956 dans leur article intitulé Vers une théorie de la schizophrénie. Pour eux, « Le paradoxe est un modèle de communication qui mène à la double contrainte ». C’est cette situation qu’ils trouvèrent dans les familles de schizophrènes sans conclure cependant qu’il s’agissait d’une causalité linéaire vers la maladie mentale. La théorie affirme l'existence de relations conflictuelles entre le malade psychotique et son entourage, le dernier donnant au premier des ordres absurdes et impossibles à exécuter (en résumé caricatural: je te donne l'ordre de me désobéir, sinon...). Ces ordres impossibles à respecter étant, forcément, toujours suivis de sanctions, ils entraîneraient ainsi l'apparition de la psychose. Autre ex : C’est le cas lorsque l’on vous dit « soyez naturel ». Car on vous invite à "être" ce que précisément la même invitation empêche : d’être naturel. Ce projet, dirigé par Bateson va durer jusqu’en 1962, date à laquelle celui-ci part pour poursuivre ses propres recherches dans le domaine de la communication : la psychiatrie n’a jamais été pour lui qu’une application parcellaire de ses théories. Jackson, qui a toujours été intéressé par les applications pratiques du projet fonde en 1959 le Mental Research Institute (MRI), constituant le second groupe de Palo Alto.

Le Mental Research Institute ou le second groupe : En 1959, le psychiatre Don Jackson, déjà lié au groupe autour de Bateson à l’invitation de ce dernier, fonda à Palo Alto le MRI avec l’ambition avouée d’étudier dans le détail la schizophrénie et d’en extrapoler des éléments théoriques sur la communication interpersonnelle.

Watzlawick-Paul.jpgDès 1960, il fut rejoint par Paul Watzalawick, psychiatre d’origine autrichienne.

Leurs travaux s’inscrivaient explicitement dans la foulée des théories du groupe de Bateson, mais il convient de noter que les deux groupes demeurèrent distincts et affichèrent régulièrement leurs divergences.

Watzlawick et Jackson, rejoints par Weakland, Fisch, Hall et d’autres encore crée la psychothérapie systémique basée notamment sur la notion d’homéostasie familiale qui suppose que soigner une pathologie psychiatrique chez un membre de la famille passe par la prise en compte de toute la famille, la personne malade n’étant qu’un symptôme de la pathologie du système (famille).

il s’agit d’une perspective empreinte de systémique et cybernétique.

En 1967, dans leur ouvrage Pragmatics of Human Communication (une logique de la communication), Paul Watzlawick, Jeanet Beavin et Don Jackson entendaient présenter une synthèse des travaux du groupe de Watzlawick et de Betson.

Dans le second chapitre « Propositions pour une axiomatique de la communication » ils énoncent 5 axiomes qui s’inscrivent dans la pragmatique, que l’on a nommé les axiomes de Watzlawick qui sont des propriétés fondamentales de la communication, des sortes de principes fondateurs de la pragmatique de la communication.

Cliquer sur chaque numéro pour lire la suite du développement :

1- On ne peut pas ne pas communiquer.

2- Toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier et par suite est une méta-communication.

3- La nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires.

4- Les êtres humains usent simultanément de deux modes de communication : digitale et analogique.

5- Tout échange de communication est symétrique ou complémentaire, selon qu’il se fonde sur l’égalité ou la différence.

vendredi, 21 janvier 2011

Paul Watzlawick

watzlawick.jpgPaul Watzlawick (Villach, en Autriche, 25 juilet1921 – Palo Alto, en Californie, 31 mars 2007)  est un théoricien dans la théorie de la communication et le constructivisme radical, l'un des membres fondateurs de l'École de Palo Alto.

Psychologue, psychothérapeute, psychanalyste jungien et sociologue, ses travaux ont porté sur la thérapie familiale et la psychothérapie générale.

Prisonnier politique en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, Paul Watzlawick, s'évade en Angleterre. À la fin de la guerre, il est démobilisé en Italie et entre dans les services de police de la ville de Trieste. En 1949, il obtient son doctorat en langues modernes et philosophie à Venise où il a étudié la logique (influence de Ludwig Wittgenstein, Gottlob Frege et Kurt Gödel). De 1949 à 1954, il se forme à l'institut Carl Jung à Zurich, puis obtient un poste pour les Nations Unies en Italie. Après un séjour à Bombay, il enseigne la psychologie analytique et la psychothérapie à l'université d'El Salvador de 1957 à 1959.

En 1960, il se rend à Philadelphie pour étudier l'approche thérapeutique de John Rosen à l'Institute for Direct Analysis. C'est là qu'il rencontre Ray Birdwhistell et Albert Scheflen. Ce dernier le présente à Donald D. Jackson et en 1961 Watzlawick rejoint le Mental Research Institute of Palo Alto.

 

L’ouvrage le plus important, où se trouvent les concepts fondateurs de « la nouvelle communication » est Une logique de la communication (1967), rédigé avec Janet Helmick Beavin et Don D Jackson.

Les autres ouvrages ne font finalement que reprendre et développer ces principes tout en se complaisant dans l’anecdote.

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mercredi, 19 janvier 2011

Cybernétique

La cybernétique est une science du contrôle des systèmes, vivants ou non-vivants, fondée en 1948 par le mathématicien américain Norbert Wiener. La signification étymologique du mot cybernétique désigne « l'action de manœuvrer un vaisseau, de gouverner » (du grec Kubenêsis).

La cybernétique est la science des machines qui s’autorégulent ; étant « informées » sur leurs résultats, elles se corrigent elles-mêmes. La démarche de Wiener est à replacer dans le contexte post-traumatique des années de la  guerre, marqué par la crainte très réelle que nos sociétés ne retournent au chaos c'est-à-dire à l'entropie. La seule façon de faire reculer le chaos est de créer, localement, des îlots d'ordre ou de néguentropie, par l'intermédiaire de l'information.

Notre monde est intégralement constitué de systèmes, vivants ou non-vivants, imbriqués et en interaction. Peuvent ainsi être considérés comme des "systèmes": une société, une économie, un réseau d'ordinateurs, une machine, une entreprise, une cellule, un organisme, un cerveau, un individu, un écosystème… Les ordinateurs et toutes les machines intelligentes que nous connaissons aujourd'hui sont des applications de la cybernétique. La cybernétique a aussi fourni des méthodes puissantes pour le contrôle de deux systèmes importants: la société et l'économie

Un système cybernétique peut être défini comme un ensemble d'éléments en interaction, les interactions entre les éléments peuvent consister en des échanges de matière, d'énergie, ou d'information.

Ces échanges constituent une communication, à laquelle les éléments réagissent en changeant d'état ou en modifiant leur action. La communication, le signal, l'information, et la rétroaction sont des notions centrales de la cybernétique et de tous les systèmes, organismes vivants, machines, ou réseaux de machines.

Lorsque des éléments sont organisés en un système, les interactions entre les éléments donnent à l'ensemble des propriétés que ne possèdent pas les éléments pris séparément. On dit alors que « le tout est supérieur à la somme des parties ». Par exemple, un animal manifeste des propriétés (courir, chasser, guetter, attaquer...), que ne manifestent pas ses organes pris séparément. Et ces organes eux-mêmes sont des systèmes qui possèdent des propriétés que ne possèdent pas leurs éléments, à savoir les cellules, etc. De même, une machine (par exemple un ordinateur) possède des propriétés supérieures à celles de la somme de ses composants.

Notre monde est intégralement constitué de systèmes, vivants ou non-vivants, imbriqués et en interaction.            

Feedback et auto-régulation

L'approche cybernétique d'un système consiste en une analyse globale des éléments en présence et surtout de leurs interactions. Les éléments d'un système sont en interaction réciproque. L'action d'un élément sur un autre entraîne en retour une réponse (rétroaction ou feedback) du second élément vers le premier. On dit alors que ces deux éléments sont reliés par une boucle de feedback (ou boucle de rétroaction).

Une boucle qui relie un élément A à un élément B est dite positive lorsqu'une variation dans un sens de la valeur de A produit une variation dans le même sens de la valeur de B. Les boucles positives sont donc des boucles qui amplifient les tendances. Le plus y appelle le plus, et le moins y appelle le moins. L'équilibre d'un système requiert donc un nombre suffisant de boucles négatives, où un élément A fait augmenter B, mais où en retour l'augmentation de B fait diminuer A.

Un exemple de système cybernétique rudimentaire est un radiateur électrique. Il possède deux éléments, une résistance et un thermostat, liés par une boucle négative: ainsi, l'augmentation de la chaleur déclenche d'elle même la coupure du thermostat, provoquant en retour la baisse de la température, qui produira à son tour la réouverture du thermostat. Un système cybernétique équilibré a pour propriété de s'autoréguler. Une tendance dans un sens y crée les conditions de la tendance inverse. De tels systèmes manifestent une grande stabilité dans le temps.

Les systèmes issus de la nature (écosystème, cellule, organisme) offrent des exemples de systèmes parfaitement auto-régulés.

 

Une science du contrôle social

La cybernétique peut être considérée comme particulièrement déterminante à l'ère de l'information et des systèmes complexes. La maîtrise des systèmes complexes que nous avons créés, ainsi que la compréhension de cet autre système complexe qu'est la biosphère, font partie des enjeux majeurs pour le XXIème siècle.

Le type de société qui émerge aujourd'hui dans les pays industrialisés découle directement des applications de la cybernétique: processus de robotisation de la production, réseaux financiers mondialisés, nouvelles méthodes de management et d'organisation de l'entreprise, réseaux de communication et réseaux informatiques, nouveaux systèmes d'armes intelligentes...

La cybernétique est par essence une science du contrôle et de l'information, visant à la connaissance et au pilotage des systèmes.

Lorsque la cybernétique a été inventée, le gouvernement américain souhaitait la classer secret défense. Grâce à l'opposition de Norbert Wiener, la cybernétique a été rendue publique mais sa diffusion a été restreinte à un cercle de spécialistes. Actuellement, la plupart des livres sur la cybernétique sont épuisés chez l'éditeur, et la plupart des gens ignorent ce qu'est la cybernétique (ou bien ils l'associent à tort à la mode "cyber" ou aux jeux vidéo).

Norbert Wiener était conscient de l'impact que les applications de la cybernétique allaient avoir sur la société. Dans un livre publié en 1950, Cybernétique et société, il prévoit la fin du travail humain remplacé par des machines intelligentes, et met en garde les responsables politiques contre les conséquences d'une utilisation de la cybernétique qui ne serait pas accompagnée par une évolution post-industrielle des structures de la société, dans laquelle l'homme pourrait enfin être libéré du travail. Faute de quoi avait-il prévenu, nous assisterons à un développement sans précédent du chômage et de l'exclusion sociale, pouvant à terme conduire à l'effacement progressif de la démocratie.

Mais la cybernétique pourrait aussi constituer une source d'inspiration positive et féconde pour l'invention d'un « capitalisme à visage humain », conciliant l'homme, l'économie, et l'environnement.

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lundi, 17 janvier 2011

Les théories de la communication (1)

C'est après la première guerre mondiale, dans un contexte de Guerre Froide, de renseignement et de secret que la problématique de la communication s'est imposée aux Etats-Unis, d'où elle a pris  son essor.


La théorie de l'information de Shannon (modèle télégraphique)

 

La Théorie de Shannon est une théorie mathématique de l'information, dite aussi de la donnée. Elle est née de considérations très pratiques : des problèmes de capacités de lignes de communication (télégraphe & téléphone) et de coût de communication. En recherchant des solutions rapides, sures et rentables pour transporter l'information, des chercheurs l'ont progressivement mise au point. Dans leur jargon en fait, la communication se limitait le plus souvent au transport de l'information, ce dernier terme étant synonyme de données, c'est-à-dire d'un ensemble de signaux non signifiants, une simple chaîne de signes (lettres/points/barres) constituant le message qu'il importait de transmettre le plus rapidement, le plus efficacement et le plus économiquement possible.

En 1949, Claude E. Shannon, un mathématicien travaillant pour la compagnie de téléphone Bell, publia la Théorie mathématique de la communication. C'est l'aboutissement de la recherche de plusieurs ingénieurs, dont Hartley, qui donna la première lettre de son nom pour désigner l'information dans une formule. La communication y est conçue comme une pure mécanique, découpable en un schéma matériel  : une source d'information, qui produit un message (la parole au téléphone, par exemple) ; un émetteur, qui transforme le message en signaux (le téléphone transformant la voix en oscillations électriques) ; un canal, grâce auquel sont transportés les signaux (câble téléphonique) ; un récepteur, qui reconstruit le message à partir des signaux ; et une destination, qui est la personne (ou la chose) à laquelle le message est envoyé.

 

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Le problème fondamental de la communication est de reproduire en un point soit exactement soit approximativement un message sélectionné à un autre point. (...)Par système de communication nous désignons un système du type indiqué par le schéma de la figure 1. Il consiste en cinq parties essentiellement.
Ces 5 parties:
- Une source d'information qui produit un message ou une série de messages à communiquer au terminal récepteur
- Un transmetteur qui traite le message de façon à produire un signal susceptible d'être transmis par le canal.
- Le canal est simplement le medium utilisé pour transmettre le message de l'émetteur au récepteur.
- Le récepteur effectue d'ordinaire l'opération inverse de celle faite par le transmetteur, en reconstruisant le message à partir du signal.
- Le destinataire est la personne (ou la chose) à qui le message est adressé

Pendant la transmission, ou à l'un des terminaux, le signal peut être perturbé par du bruit.

 

tintin3.jpgLe message, un ensemble de signaux codés et insensés, est donc transmis de l'émetteur au récepteur : c'est un objet, extérieur à ceux qui le produisent ou le consomment. C'est une matière, quantifiable après traitement spécifique. Ce traitement, c'est la théorie de l'information qui va le permettre en décomposant le message en unités, les bits d'information. Le message est acheminé via des canaux permettant de franchir la distance spatiale et temporelle qui sépare l'émetteur du récepteur ( canaux naturels comme les ondes de l'air ou instrumentaux comme le faisceau laser, les câbles de la télédistribution ou encore les satellites de communication). Les opérations de codage et de décodage s'effectuent sur la base d'un code dont la convention est partagée par l'emetteur et le récepteur, et qui doit être composé de signaux univoques, chaque signe ne pouvant se référer qu'à une seule chose. Ainsi conçu, le code apparait bien comme extérieur à la source de l'information. La source doit se soumettre au code. De plus, le code est préétabli : il précède ses utilisations dans les opérations de décodage. Il est des choses qu'on ne pourra donc dire, parce que des signes peuvent manquer au code. Le caractère mécaniste du modèle est ainsi manifeste.

 

Prolongements :

 

De nombreuses études ont été faites dès son apparition pour appliquer la théorie de l’information de Shannon à la communication humaine. En fait, on a un peu vite superposé les notions d’information et de communication, le but des travaux étant de mesurer la capacité de l’homme comme véhicule d’information ou canal de transmission. On a pu mesurer ainsi que la limite supérieure de capacité de transmission humaine se limite à 25 bits / sec.

Mais bien au-delà, la théorie de Shannon a bientôt constitué un point de ralliement pour des disciplines aussi diverses que la physique, les mathématiques, la sociologie, la psychologie, la linguistique et la biologie moléculaire à travers les notions de code, d'émetteur, de message et de récepteur, de bruit, de redondance… En linguistique, par exemple, le mot code va s’imposer comme synonyme de langue et de système. On peut voir là une première occasion de rapprocher dans l’analyse de la communication les domaines de l’artificiel, du biologique et de l’humain.

 Dès le départ, des chercheurs se sont insurgés contre une telle transposition d'un schéma mathématique dans d'autres disciplines. Toutefois, pendant plus de trois décennies, cette théorie linéaire inspirera la plupart des approches de la communication, et le schéma établi par le mathématicien Shannon – émetteur/message/récepteur – deviendra la référence obligée pour tout néophyte en sociologie des médias.

Shannon avait montré qu’au fur et à mesure qu’on apporte des données, celles-ci devenaient de plus en plus prévisibles. Il y a un inévitable passage de l’information à la redondance. Cette idée, soulignée par Shannon, que l’information ne peut que se dégrader irrémédiablement a trouvé une postérité dans les théories systémiques à venir. Un rapprochement a été fait avec la thermodynamique. En 1865, Rudolf Clausius avait montré, à propos de l’énergie, que tout ce qui est organisé et structuré est soumis à la dégradation et au retour au chaos. C’est le phénomène d’entropie. Dans une machine thermique, l’évolution d’un ordre différencié (chaud et froid séparés) donne in fine un désordre indifférencié (le tiède).

  

 

L'apport de Weaver

 Warren Weaver (1896-1978) est un mathématicien, philosophe de la communication.
Il a « humanisé » le schéma purement technique de Shannon en y introduisant un récepteur sémantique entre le récepteur technique (qui transforme les signaux en message) et le destinataire. Ce récepteur soumet le message à un second décodage, destiné à mettre un sens sur les mots reconstitués, à accorder les caractères sémantiques des messages avec les possibilités sémantiques des destinataires. De même, Weaver suggère d'insérer entre source et émetteur un paramètre supplémentaire qualifié de bruit sémantique, rendant compte de phénomènes de perturbations ou de distorsion de signification.

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La cybernétique

Le premier à avoir l'intuition du rôle structurant des nouvelles machines à communiquer est Norbert Wiener (1894-1964), mathématicien américain, le  père de la cybernétique. Dans son ouvrage Cybernetics or Control and Communication in the Man and the Machine (1948), il diagnostique - alors que l'on est tout juste à l'aube de l'informatique - que la société du futur s'organisera autour de l'information.

La cybernétique : sciences du contrôle et des communications dans l’homme, l’animal et la machine.

Science qui se donne pour objet l’étude des systèmes vivants et non vivants ; la science des régulations au sein des organismes vivants et des machines. Notre monde est intégralement constitué de systèmes, vivants ou non-vivants, imbriqués et en interaction. Peuvent ainsi être considérés comme des "systèmes": une société, une économie, un réseau d'ordinateurs, une machine, une entreprise, une cellule, un organisme, un cerveau, un individu, un écosystème… 

Un système cybernétique peut être défini comme un ensemble d'éléments en interaction, les interactions entre les éléments peuvent consister en des échanges de matière, d'énergie, ou d'information.

Ces échanges constituent une communication, à laquelle les éléments réagissent en changeant d'état ou en modifiant leur action. La communication, le signal, l'information, et la rétroaction sont des notions centrales de la cybernétique et de tous les systèmes, organismes vivants, machines, ou réseaux de machines.

L’apport de Wiener au modèle de la communication : le feedback ou processus de régulation.

L'approche cybernétique d'un système consiste en une analyse globale des éléments en présence et surtout de leurs interactions réciproques. L'action d'un élément sur un autre entraîne en retour une réponse (rétroaction ou "feedback") du second élément vers le premier. On dit alors que ces deux éléments sont reliés par une boucle de feedback (ou boucle de rétroaction). Le message de Rétroaction (ou Feedback, ou encore message de feed-back en anglais), est donc le message, verbal ou non, renvoyé par réaction par le récepteur, à l'émetteur. Lorsqu'il existe, on parle de communication bidirectionnelle. Ses enjeux sont différenciés de ceux du message dont il est issu. Le feed-back peut servir, suivant les cas, à:

- confirmer la réception du message ;

- infirmer la réception du message ;

- demander des précisions ;

- relancer la discussion ;

- terminer la discussion.

La notion de rétroaction (feed-back)  a permis aux chercheurs en sciences humaines de passer d'une vision linéaire (unidirectionnelle) de la communication, à la conception d'un processus circulaire (bidirectionnelle).

On peut distinguer selon Wiener deux formes de Feed-Back :

- Le Feed-back positif, qui conduit à accentuer un phénomène, avec un effet possible de boule de neige (hausse de la tension entre les communicants. Entre humains il s'agirait d'énervement entre deux personnes).

- Le Feed-back négatif peut être considéré comme un phénomène de régulation, qui en amoindrissant la communication, tend à la maintenir stable et équilibrée. Cette régulation prends plusieurs formes notamment la reformulation ou le questionnement.

Ces deux formes du Feed-back assurent la réception du message. Le troisième cas, dans lequel le Feed-back n'est pas exprimé (néant), crée un frein à la communication: on ne sait même pas si le message a été reçu ou pas. C'est souvent le cas dans la communication de masse.

C’est une révolution, car la communication cesse d’être conçue comme linéaire, mais comme circulaire (boucles) : Emetteur et récepteur interagissent.

 

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Wiener distingue 2 types de feedback :

 

feedback positif : il conduit à accentuer un phénomène (Réactions de B renforcent l’attitude A)

feedback négatif : régulation, amortit le phénomène (Réactions de B conduisent A à se corriger).

jeudi, 13 janvier 2011

La critique du marketing

L’idéologie marketing et  sa critique. (Gilles Marion, professeur  à l'unité pédagogique et de recherche Marchés et Innovation,  E.M.LYON)

On sait depuis Chandler (1977) que pour comprendre l’évolution de l’économie de marché, il convient aussi de porter attention à la main visible des managers et notamment à celle des spécialistes de la  médiation marchande que sont les marketers (Cochoy, 1999). Il s’ensuit qu’il n’est pas inutile d’étudier  les croyances partagées par les marketers, c’est-à-dire leur idéologie. Pour saisir les évolutions du  marketing en France des années 1960 aux années 1990, nous allons montrer comment cette  idéologie s’est transformée et ainsi renforcée au fil du temps.

I. Bref rappel historique

Impossible de traiter du marketing en France sans analyser comment le modèle Américain a été  importé, c’est-à-dire reçu et adapté. Au-delà d’une périodisation simpliste et imprécise en plusieurs  « ères »[i] (Marion, 1993), décrivons rapidement les conditions économiques qui ont porté le marketing.

L’ère de la société de consommation, ainsi que la diffusion de la fonction marketing et de ses  techniques, sont décalées par rapport au modèle américain. Toutefois, bien que l’émergence d’un  marché de masse ne date que du milieu des années 1950, l’importance des enjeux marketing est  reconnue dès l’entre-deux-guerres. Certaines entreprises utilisent ses techniques qui sont enseignées  notamment au CPA (Centre de préparation aux affaires), créé en 1930 (Meuleau, 1988). Au total,  « l’influence américaine […] fut très souvent accueillie favorablement mais introduite volontairement  de manière sélective » Chessel (1998, p. 213).

La croissance des années 1950 et 1960 permet la concrétisation des évolutions esquissées. Les  « Trente Glorieuses », c’est-à-dire la période 1946-1975 selon Fourastié (1979), voient s’accomplir une  progression inouïe du niveau de vie des français. La rupture décisive pour les entreprises françaises  étant l’entrée dans le Marché Commun, en 1957. Au cours de ces années les agences de publicité et  les sociétés de conseils en études de marché accélèrent la promotion du marketing. L’IFOP avait été  créée en 1938 sur le modèle de l’institut américain Gallup. L’ETMAR fut l’une des premières sociétés  d’études de marché créées après guerre (1948). Le premier panel français de consommateurs,  STAFCO, fut créé en 1953. L’Association pour le Développement des Techniques de Marketing  (ADETEM) est fondée en 1954. La revue Entreprise consacre, dès l’année de sa création (1953), plus  de la moitié de ses articles aux méthodes des entreprises américaines. La moitié des livres consacrés  au marketing et aux études de marché publiés entre 1944 et 1959 furent soient des traductions  d’ouvrages américains, soit des témoignages issus d’une expérience américaine. Le contenu de  l’autre moitié étant plus ou moins influencé par le modèle américain (Meuleau 1988). Dès lors, à partir  de la fin des années 1950 de nombreuses entreprises françaises considèrent le marketing comme un  outil important et proposent alors un grand nombre d’opportunités aux marketers pour accéder à des  postes de responsabilités.                                              

II. Un cadre d’analyse

Le marketing est toujours insuffisamment défini par ses techniques, ses procédures, son organisation  ou sa résonance socioculturelle. Pour clarifier cette question, distinguons ici trois niveaux de  description

1) Le marketing est d’abord un ensemble de pratiques dans les entreprises et les marchés,  notamment décrites par les historiens : Chandler (1977), Fullerton (1988), Tedlow (1990), aux États  Unis ; Meuleau (1988), et Chessel (1998), en France. La fonction marketing apparaît dans les grandes entreprises américaines au début du XXe siècle. Ses principaux métiers (publicitaire, chef de produit,  responsable d’étude), se diffusent largement aux États Unis, puis en Europe et donc en France, au  cours des années 1950 et 1960 (Low et Fullerton, 1994).

2) Le marketing est aussi une inscription de ces pratiques dans des règles afin de constituer  une discipline du marché permettant aux marketers d’agir. Les principaux outils (stratégie de marque,  différenciation, segmentation, publicité), apparaissent entre 1880 et 1930. La discipline du marketing  est codifiée et rationalisée entre 1920 et 1960 (Bartels, 1976), afin d’être enseignée aux générations  d’étudiants qui se succéderont dans les  Business Schools  du monde entier comme en France au  cours de la seconde moitié du siècle. Cette théorisation proposée par les manuels de  marketing  management a permis la professionnalisation des  marketers et des enseignants de marketing  (Cochoy, 1999).

3) Le marketing est une idéologie, c’est-à-dire un ensemble de croyances et de représentations sociales partagées par les marketers et les divers acteurs du marché :consommateurs, distributeurs, publicitaires, consultants, professeurs et étudiants. Si le marketer est  un salarié de la grande entreprise, comment peut-elle s’attacher cet acteur si nécessaire à l’atteinte de  ses objectifs ? Répondre en termes de salaire n’explique que peu de chose. Il faut en effet encore  expliquer pourquoi un individu choisit tel ou tel métier ? Comme tout salarié, le marketer a besoin de  bonnes raisons pour s’engager dans son travail et s’impliquer dans l’entreprise. Des raisons fondées  sur des représentations collectives et des croyances susceptibles de lui fournir des justifications. Loin  de définir l’idéologie comme une "fausse conscience" ou un leurre, c’est-à-dire une sorte  d’incompréhension des circonstances de la vie ordinaire, nous considérons que la fonction de  l’idéologie est moins de promouvoir un intérêt spécifique ou de masquer des rapports de force que de  fournir des repères à l’action des personnes plongées dans un monde complexe et confus (Boltanski  et Chiapello, 1999, pp. 35-46).

Pour restituer l’évolution de l’idéologie marketing, c’est-à-dire une certaine manière de concevoir  l’échange économique, ses objectifs et ses moyens, nous allons repérer les critiques qui lui ont été  adressées et les réponses qu’elle s’est efforcée d’apporter. Nous montrerons comment la contreculture des années 1960 (Morin, 1962) est entrée en symbiose avec l’extension des processus de  mise en marché et en quoi cette évolution est redevable au  marketer ? Nous conclurons sur les  épreuves actuelles de l’idéologie marketing et de la critique, puis nous proposerons une hypothèse de  généralisation de notre analyse.

III. Les fondements de l’idéologie marketing

Au début des années 1960, les marketers, les publicitaires et les consultants en marketing français  intensifient leur recherche de justifications pour leurs pratiques, notamment dans les manuels de  marketing américains. Que trouvent-ils ?

1. Les justifications issues de la science économique

En dépit des efforts récurrents du marketing pour se singulariser, cette discipline puise d’abord ses  justifications dans le courant dominant de la science économique. L’économie comme le marketing se  préoccupent du fonctionnement du marché puisque celui-ci est le mode de coordination dominant de  l’économie contemporaine.

Pour se construire, le marketing retient d’abord de cet héritage que tout ce qui est bénéfique pour  l’individu l’est pour la société : le critère ultime du bien-être social c’est le progrès matériel individuel  incessant. Il retient ensuite que le seul critère du bien commun est l’accroissement global de  richesses, quel qu’en soit le bénéficiaire. Il s’ensuit que la santé des entreprises d’un pays, mesurée  par leur niveau d’activité et de croissance et/ou leur taux de profit, est un bon critère de la mesure du  bien-être collectif. Les marketers français disposent ainsi d’une première légitimation de leurs  pratiques au sein de la grande entreprise capitaliste.

La science économique fournit aussi un autre résultat : la concurrence, même si elle n’est pas pure et  parfaite, est le moyen le plus sûr pour que le client bénéficie du meilleur produit au moindre coût. L’entreprise privée concurrentielle est jugée plus efficace et efficiente dans la mesure où, pour  parvenir à ses fins, elle doit satisfaire le consommateur. Il faut donc protéger la propriété privée et la  liberté d’entreprendre afin de préserver le système de la concurrence ou le risque de concurrence  (Schumpeter, 1947).

De plus, pour les tenants du libéralisme économique, la liberté dans les arrangements économiques  est une condition indispensable pour la réalisation de la liberté politique (Friedman, 1962). La  privatisation, puis la mise en marché, de tous les biens et services constituent, économiquement et  socialement, la meilleure solution puisqu’elles réduisent le gaspillage des ressources et obligent les  fournisseurs à aller au-devant des attentes des clients. Pour les marketers, une telle solution doit se  généraliser par l’extension de la régulation par les marchés et donc la transformation de tous les  acteurs sociaux en consommateur : le patient, l’élève, l’usager, l’amateur d’art, le donateur à des  œuvres caritatives, voire le citoyen, sont tous potentiellement des consommateurs (Kotler & Levy,  1969).  Au total, trois piliers de l’entreprise capitaliste : progrès matériel, efficacité et efficience dans la  satisfaction des besoins, organisation sociale favorable à l’exercice des libertés économiques et  politiques, constituent les fondements de l’idéologie marketing (Boltanski et Chiapello, 1999).

2. Les justifications propres au marketing management

Toutefois, ces justifications très générales ne semblent pas suffisantes au marketer pour faire face  aux critiques qui lui sont adressées personnellement lors d’une controverse locale. Principalement  parce qu’il demeure ambivalent vis-à-vis de la concurrence. D’un côté, la concurrence fournit une  justification de son rôle au sein de l’entreprise, puisque c’est lui qui pilote les adaptations au continuel  déplacement des préférences du consommateur. D’un autre, le marketer déplore les pressions  constantes qui font de ses actions de simples réactions au jeu concurrentiel. Tout marketer veut  préserver la figure du consommateur souverain - le client Roi - (Gomez, 1994), dont les besoins et les  désirs constituent une sphère indépendante de toute autorité extérieure : l’État, le monopole ou le  publicitaire « manipulateur ». Il sait que les rentes liées à la possession d’un brevet ou d’une marque,  d’un secret de fabrication, d’un savoir-faire, d’une innovation organisationnelle, sont provisoires. Mais,  en même temps, il cherche à créer des préférences pour sa marque au moyen de la différenciation  des produits et de la publicité. Il s’efforce de donner à sa marque une position distinctive dans un  segment de marché, voire de lui faire détenir un quasi-monopole au sein d’une "niche". La raison  d’être du marketer dans l’entreprise demeure la concurrence et l’économie de marché, mais il apparaît  comme une figure double : celle de l’entrepreneur qui génère des innovations en inventant de  nouvelles règles du jeu et celle du gestionnaire qui optimise les solutions au sein de règles données  notamment par l’évitement de la concurrence.

Par position, le marketer est une cible privilégiée de la critique et lui prête une oreille attentive. Il doit  faire face non seulement à celle des acteurs du marché (consommateurs, distributeurs, prescripteurs,  journalistes, etc.), mais aussi à celle des autres coalitions de l’entreprises (ingénieurs de recherche et  développement ou vendeurs), et à celle de ses subordonnés. Il a l’expérience d’autres sphères  sociales (attachement familial, solidarité civique, pratique religieuse, vie intellectuelle), et doit donc  aussi faire face à la critique de son entourage (conjoint, enfants, famille, amis). Dès lors, le marketer,  et notamment le (la) débutant(e), a besoin de justifications pour répondre à la critique et s’expliquer  face aux autres. Pour que l’idéologie marketing soit utile à son action quotidienne, et à celle de ceux qu’il doit sensibiliser ou convaincre, il faut qu’elle se présente sous des formes discursives édifiantes  afin d’être partagée. Un discours qui stimule l’imagination face aux situations concrètes de la vie  professionnelle, un discours qui mélange convenablement des préceptes généraux et des exemples  excitants sous forme de cas pédagogiques. Bref, il faut le discours du marketing management  proposé par de nombreux manuels américains.

Un tel discours s’est efforcé d’éliminer les ambiguïtés vis-à-vis de la maximisation des profits. Selon  Drucker (1954), tant que le salarié considérera que le but de l’entreprise est de réaliser du profit, il  verra une divergence entre ses intérêts et ceux de l’entreprise. Par contre, s’il est persuadé que le but  de l’entreprise est de créer et conserver une clientèle, il y aura harmonie au lieu de conflit. Le  marketing et l’innovation étant, selon Drucker, les deux ingrédients indispensables pour créer une  clientèle, il s’ensuit que le marketer doit considérer le profit comme une sorte de « mal nécessaire » : non pas la cause ou la raison d’être de l’entreprise, mais la preuve de sa viabilité économique. Le  marketing management veut susciter l’enthousiasme moderniste en faveur d’organisations  performantes soucieuses de bien-être social et non strictement en faveur du profit. Parce que des  entreprises plus efficaces serviront mieux le progrès économique et social, la diffusion du marketing  dans les entreprises est évoquée comme un progrès quasi inéluctable (Keith, 1960). Les réussites  des multinationales américaines servent d’illustrations emblématiques du futur, tandis que sont  pointés les secteurs retardataires : chemins de fer, matières premières… (Levitt, 1960), et les  résistances rétrogrades (l’orientation production). Solidaire du monde libre et de la démocratie dans  une période de guerre froide, il est alors particulièrement légitime. L’attractivité de la fonction  marketing est ainsi doublement assurée : 

1) par l’autonomie qui est proposée au marketer et notamment au chef de produit – une sorte de "petit patron" de sa marque - dans le cadre d’une relative décentralisation des décisions et,

2) par l’association de cette liberté à une autre libération : la satisfaction du consommateur, voire du citoyen.

Récapitulons, l’entreprise des années 1960 a besoin du marketer et celui-ci a besoin de bonnes raisons pour faire son travail. Le discours du marketing management lui fournit des raisons  acceptables de s’engager pour lui. D’autant plus que ce discours reste fidèle à l’un des fondements  idéologiques du marketing : la liberté de choix, y compris pour ceux qui le pratiquent. Il alimente le  marketer de motifs suffisamment excitants pour valoir qu’on choisisse cette profession plutôt qu’une  autre et il fournit aussi des justifications fondées sur l’intérêt général pour répondre aux critiques. Le  marketing management est une traduction, en termes concrets et illustrés, des thèmes majeurs du  principal courant de la science économique. Il fournit non seulement des solutions à des problèmes  concrets mais aussi du « prêt à penser » pour le marketer en quête de justifications pour ses pratiques.

 

 



[i] Cette périodisation décrit trois phases (l’orientation production, l’orientation vente et l’orientation marketing) dont la dernière  constitue l’aboutissement d’un processus irréversible et d’un pseudo progrès : la « révolution marketing ».

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mardi, 11 janvier 2011

Don du sang

 

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vendredi, 07 janvier 2011

Chiche

CHICHE1, adj.
A.  [En parlant d'une pers.] Dont la parcimonie confine à l'avarice. La parente qui recevait avait la réputation d'être un peu chiche (
GIDE, Journal, 1930, p. 967).
 Expr. Être chiche de (qqc.). Être avare de. Chiche de bravos sur les galeries (
L. CLADEL, Ompdrailles, 1879, p. 196). Chiches de compliments (BENJAMIN, Gaspard,1915, p. 35). Chiche de dragées (P.-L. MENON, R. LECOTTÉ, Au village de France, Livre 1, 1954, p. 86).
B.  [En parlant d'une chose] Qui témoigne de cet esprit d'avarice, peu abondant. Le régal fut chiche (Ac. 1932). Ce logis où nous demeurions ne recevait qu'une chiche lumière, dépendance de la sacristie (
CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 484).
Rem. On rencontre ds la docum. les dér. a) Chichement, adv. D'une manière chiche. La famille vécut chichement (
ZOLA, La Joie de vivre, 1884, p. 850). Chichement notée (COLETTE, Claudine à l'école, 1900, p. 236). Chichement rétribuée (CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 347). b) Chicherie, chicheté, subst. fém. Caractère d'une personne chiche, attitude chiche. Les bénéficiaires ordinaires de ces dons commençaient à se plaindre de la chicherie des princes (FARAL, La Vie quotidienne au temps de St Louis, 1942, p. 179). La chicheté de l'enjeu (J. DE LA VARENDE, M. le Duc de Saint-Simon et sa Comédie humaine, 1955, p. 62). c) Chichotter, verbe intrans. Être chiche. Tu chichottes sur les secours que mon état réclame (G. SAND, Le Meunier d'Angibault, 1845, p. 333).
Prononc. et Orth. : [ ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1165-70 « qui regarde à la dépense » (
CHR. DE TROYES, Erec et Enide, 6676 ds T.-L.); 2. 1538 chiche de(qqc.) « qui n'est pas prodigue de » (EST.); 3. d'une chose a) 1732 « parcimonieux » dépense chiche (Trév.); b) 1798 « peu abondant » moisson chiche (Ac.). Prob. dér. du rad. onomatopéique tchitch- exprimant l'idée de petitesse (FEW t. 13, 2, p. 374a; BL.-W.5; cf. chichi) plutôt qu'empr. à un b. gr.   « un rien » (DAUZAT 1973), (gloses d'Hésychius, éd. M. Schmidt, t. II, p. 481, 54), lui-même empr. au lat. ciccum « membrane ténue » puis « un rien » (ERN.-MEILLET). Bbg. LEW. 1960, p. 174, 181 (s.v. chicheté).   RAT (M). Avare, grigou, pingre, etc. Vie Lang. 1968, pp. 311-312

 

 

* CHICHE2, subst. masc.
BOT. Pois chiche. Plante à fleurs blanches, cultivée dans le Midi, et dont les gousses contiennent chacune deux graines; p. méton., graine comestible de cette plante. Farine de pois chiches. Ils n'ont pas fini de manger des pois chiches dans les prisons du roi d'Espagne (
POURRAT, Gaspard des Montagnes, À la belle bergère, 1925, p. 284).
Prononc. et Orth. : [
]. Ds Ac. 1694-1932; Ac. 1718 enregistre la vedette au plur. : chiches avec la rem. : ,,n'a d'usage que joint avec pois : pois chiches``. Étymol. et Hist. 1244 (Itinéraire de Londres à Jérusalem, attribué à Matthieu Paris, X ds Itinéraires à Jérusalem, éd. H. Michelant et G. Raynaud, p. 132); cf. 1269-78 (pour indiquer une valeur très faible) (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 9742). Altération, prob. sous l'infl. de chiche1*, de l'a. fr. cice « pois chiche » (cependant attesté un peu postérieurement,ca 1256, ALDEBRANDIN DE SIENNE, Régime du Corps, 71, 26 ds T.-L.), empr. au lat. cicer « id. ».

 

 

CHICHE3, interj.
Fam. Exclamation de défi lancé ou accepté :

1.   (...) Un vieux rossard (...) qui parle de s'aller plaindre au directeur? Au directeur?... Eh bien, allez-y! Chiche!
COURTELINE, Messieurs-les-Ronds-de-cuir, 1893, 4e tabl., 1, p. 129.

 Chiche que. Je parie que... :

2.   Il est beaucoup de façons de demander un service à une femme, plus tard vous saurez ça, dit-il d'un air dégagé. Mais avec Gina, je veux vous prouver que...Chiche, dit-il soudain, que je couche avec elle avant quinze jours.
 Chiche
, dis-je calmement.
ABELLIO, Heureux les pacifiques, 1946, p. 73.

 Expr. Être, ne pas être chiche de. Être, ne pas être capable de :

3. Rompons la paille, et ni vu ni connu.   Tu n'es pas chiche de mettre le marché à la main.
L.-F. L'HÉRITIER, Mémoires pour servir à l'hist. de la Révolution française, par Sanson, t. 2, 1830, p. 291.

Prononc. : [ ]. Étymol. et Hist. 1866 (DELVAU, p. 75 : Chiche! Exclamation de défi ou de menace,   dans l'argot des enfants et des ouvriers). Prob. abrév. de l'expr. ne pas être chiche de faire qqc. (1830, supra ex. 3), utilisée pour mettre au défi qqn de faire qqc., qui est elle-même un emploi partic. de chiche1* étymol. 2.
STAT.   Chiche1, 2 et 3Fréq. abs. littér. : 105.