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samedi, 10 juillet 2010

La saga Menier

Jean-Antoine-Brutus Menier, le fondateur (1795-1853), aurait pu être un personnage de Balzac. Troisième enfant d’une famille de marchand, il est né à Bourgueil le 17 mai 1795. Neveu d’un pharmacien, il est placé comme apprenti de 1811 à 1813 chez le sieur Maignan, pharmacien dans la commune de La Flèche, à quelques kilomètres de Bourgueil ; en octobre 1813, il  entre à l’hôpital du Val de Grace. La période mouvementée qui voit la chute de l’Empire et le retour des Bourbons, il la passe sous les ordres de Pierre Joseph Malatret. En 1816, il épouse la fille d’un marchand champenois richement dotée, Marie Pichon

En ce début de XIXème, le chocolat est un produit de luxe. Menier a l’idée de concevoir un chocolat alimentaire & un chocolat de santé : il ouvre une maison de commerce dans le Marais à Paris en 1816, au 1 rue du Coq Saint-Jean, spécialisée dans la fabrication des produits pharmaceutiques. Moulin à bras, manèges à chevaux, très vite il se rend compte que l’énergie animale devient insuffisante pour assurer le développement de son entreprise.  Petit à petit, il envisage l’énergie hydraulique et c’est ainsi que ses recherches le conduisent à Noisiel en Seine et Marne, qui ne compte alors à  peine plus d'une centaine d'habitants. En décembre 1824, Jean Antoine Brutus signe un contrat de location de 15 ans pour le moulin hydraulique et un terrain d'environ 3hectares. C’est en 1839, au terme du contrat, qu’il fait l’acquisition de ce célèbre site.

Le moulin de Noisiel est un des meilleurs implanté sur la Marne, il possède une roue pendante qui, à l’aide de vérins, peut monter ou descendre suivant le niveau de l’eau. Cette énergie hydraulique va lui permettre de développer son activité de droguiste/pharmacien. Dès 1825, Jean Antoine Brutus décentralise son unité de production, l'atelier de pulvérisation est installé à Noisiel. Pour diriger l’usine de Noisiel, il fait appel à des collaborateurs éminents. Rapidement la profession pharmaceutique reconnaît les qualités supérieures des poudres fabriquées par Menier.

 

A cette époque, le chocolat n'est autre qu’un produit pharmaceutique de luxe, considéré comme un remède à nombreux maux : fatigue, anémie, constipation, toux mais également troubles digestifs, maladies pulmonaires, fièvres…, quant à la poudre de cacao, elle est utilisée pour la fabrication des pommades, de cosmétiques et le beurre de cacao entre même dans la composition de certains suppositoires.  Le chocolat sert d’enrobage pour les pilules, une manière comme une autre de « faire avaler la pilule ».

Mais dès 1830, le chocolat devient une denrée alimentaire, sa consommation se démocratise et se développe. En 1832, la production atteint 350 kg par jour. En 1845, elle sera de 2000 kg, pour doubler en 1854. Jusqu’en 1835, les tablettes sont moulées, plates avec de simples rainures et emballées d’un papier blanc avec une  petite étiquette ovale.

En septembre 1836, Jean Antoine Brutus Menier est le premier à créer une tablette de chocolat ménager à six divisions semi cylindriques ; la couleur de l’enveloppe est jaune, mais variera en fonction du prix et de la qualité du chocolat ; l’étiquette représente le fac-similé des médailles obtenues en 1832 et 1834  imprimé sur fond blanc sur la face de la tablette et celui de sa signature au dos, signant ainsi l'acte de naissance de la marque de fabrique.

Cette signature l'engage aux yeux du public et sera plus tard une garantie contre les contrefaçons. L'idée est toute nouvelle. En effet, les règles qui régissent la propriété des marques de fabriques ne seront définies que par la loi du 23 juin 1837, complétée par celle du 27 juin 1857.  Il effectua son premier dépôt légal de modèle le 2 août 1849.

Cette tablette « Fin Santé papier jaune »,  se  recommande par sa richesse en cacao et la finesse de son broyage. Elle est aussi parfaite pour CROQUER que POUR CUIRE. Elle devient rapidement l’emblème du Chocolat Menier.

 

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Jean Antoine Brutus a la confiance de nombreux pharmaciens puisque ses livres contiennent pas moins de 8000 comptes. Toutefois il n'est pas libre dans sa société car il n'a pas son diplôme de pharmacien. En 1839, à l'âge de 44 ans, il reprend ses études, et est amis le 2 février 1842 comme membre résident à la société de pharmacie. Il devient ainsi seul maître de sa société. En 1841, l’entreprise de Noisiel compte 13 ouvriers, 17 en 1846, et en mai  1851, 21 ouvriers travaillent sur le site.

Dès 1845, la production de chocolat de qualité à des prix compétitifs permet de développer sa consommation de façon importante.

 

 

Au moulin de Noisiel

Mille ans il a bravé les vents et les orages,
Et se tint immobile en traversant les âges.
Mais la décrépitude a, d'un sillon profond,
Avec sa main de fer, enfin, marqué son frond.

Ton magique pouvoir, merveilleuse industrie
Au moment de périr le rappelle à la vie.
Comme l'oiseau sacré, le radieux phénix,
Qui jamais ne franchit le rivage du Styx,
Sur le bord du tombeau ne devant pas descendre
Paraît sur le bûcher et renaît de sa cendre ;
Ainsi nous l'avons vu, dévoré par le temps,
Revivre pour braver encor les éléments
Et de ses vieux lambris secouant la poussière,
Reparaître à nos yeux plus grand et plus prospère.

De longs jours sont pour lui.Pourquoi faut-il hélas !
Que celui qui l'a fait ne lui survive pas !
Mai tels sont tes décrets, divine Providence :
Ainsi tu l'ordonna dans ta sage prudence,
Pour de l'homme ici bas, anéantir l'orgeuil,
Tu nous condamnas tous au repos du cerceuil.

A ce terrible arrêt comme pour se soustraire,
L'homme, faible instrument, mais toujours téméraire,
Fait des projets en foule, épuise son cerveau
Pour assurer sa gloire au delà du tombeau ;
Il veut qu'un monument, signalant son passage,
Puisse illustrer son nom répété d'âge en âge.
Celui-ci pourra dire à la postérité :

" Je suis un monument d'ordre et d'activité.
Le travail assidu, la foi, la patience,
La fermeté, l'honneur et la persévérance
Ont cimenté ma base, et l'homme qui me fit,
Par cette oeuvre prouva son courageux esprit."

Marie Virginie Menier
( épouse de J-A-B Menier)

 

 

En 1853, âgé de 27 ans, Emile-Justin Menier succède à son père et fait entrer le chocolat dans l'ère de la consommation de masse en créant la première chaîne de production industrielle et en achetant dans le monde entier les ressources nécessaires pour contrôler la chaîne du cacao. Du Nicaragua à New York, l'entreprise familiale dessine la première carte de la future multinationale.  En 1860 Menier fait construire une usine neuve à Noisiel, par l’architecte Jules Saulnier (qui travailla ensuite avec Gustave Eiffel), les ingénieurs Jules Logre (qui sera directeur de l’usine jusqu’en 1908) et Girard (qui invente et installe des turbines horizontales). Cette architecture industrielle mêle habillement le fer et la brique tout en respectant le processus de fabrication du chocolat. Elle est décorée de céramiques de fleurs et cabosses, le fruit du cacaoyer contenant les graines de cacao. Par sa beauté architecturale, l’usine est appelée « la cathédrale ». L’entreprise est passée de 50 ouvriers à 2000.

 

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La troisième génération Menier va inventer la première campagne de communication de masse.

En 1874, à proximité de l’usine, Menier lance la construction de 66 maisons et d’un groupe scolaire. Pour cela, la famille Menier visite des modèles de cités en Angleterre et prend aussi exemple sur les cités ouvrières de Mulhouse. Chaque pavillon en bordure de rue est composé de deux logements indépendants de 64 m² chacun, comprenant deux chambres, une cuisine et un séjour, ainsi qu’un jardin de 300 m² attenant, destiné au potager, pour compléter les revenus de la famille. L’eau courante n’arrive pas jusque dans le logement mais des bornes fontaines sont installées dans les rues tous les 45 mètres. Des pavillons en cœur de parcelle regroupent quant à eux 4 logements et autant de jardins-potagers. Seules les maisons d’angles, plus cossues, plus grandes et réservées aux employés et ingénieurs, disposent de cabinets de toilette. Les logements sont loués exclusivement au personnel de l’usine qui ne peut en devenir propriétaire. En quittant son emploi, l’employé doit laisser son habitation. Le montant du loyer est l’équivalent de deux à six journées de travail, selon le grade de l’employé. 85 maisons sont ajoutées jusqu’en 1911. Au total, ce sont 311 logements qui sont construits couvrant un espace de 20 hectares.

Suite à son accession à la mairie en 1871 et à ses nombreuses acquisitions foncières, Émile-Justin Menier est entièrement maître des destinées communales.

La grande priorité est donnée à l’hygiène et à la santé. La disposition des pavillons en quinconce permet une meilleure circulation de l’air et de la lumière. Des bains-douches sont installés à proximité de l’usine de même que des lavoirs, un cabinet médical pour deux médecins et un pharmacien. Un très grand nombre d’équipements, propriétés de l’usine, complète ce dispositif : des magasins d’approvisionnement (propriété des Menier jusqu’en 1912), un réfectoire pour les ouvriers célibataires, deux cafés-hôtels-restaurants, un groupe scolaire pour filles et garçons, une maison de retraite et la mairie.

Par le plan même de sa cité, la famille Menier montre ses engagements politiques et idéologiques. L’école, symbole de l’élévation de la condition ouvrière, est ainsi située au centre de la principale place de la cité, tandis que l’église – dont l’industriel a pourtant financé la construction – est laissée à l’extérieur de la ville nouvelle. Néanmoins, c’est avant tout l’usine qui reste le centre de la cité et autour de laquelle tout est organisé. La figure du patron est centrale comme le montre l’inauguration en 1898 de la statue d’Émile-Justin Menier, devant les écoles.

 

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Pour promouvoir sa marque, la famille Menier (les fils d’Emile-Justin : Henri (1853-1913) et Gaston (1855-1934) fait en 1893 appel aux talents de Firmin Bouisset qui réalise la première affiche sur laquelle apparaît la petite paysanne bien habillée, nattée vue de dos, une barre de chocolat à la main, traçant d’une écriture mal assurée « Eviter les contrefaçons », un parapluie rouge et un panier rempli de boites et emballages Menier à ses pieds.

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Cette image est en suite reprise et légèrement modifiée, la fillette s’entraîne à écrire « Chocolat Menier Menier ». M. Sabatier, chef de la publicité de la maison Menier donne sa définition d’une bonne affiche : 

1°) L’extrême simplicité de lignes du dessin, et par conséquent la réduction du nombre des personnages présentés au minimum, à l’unité si possible ; 

 2°) La réduction du texte à une courte formule, lapidaire et énergique, ou, simplification plus radicale encore, lorsque le nom est suffisamment connu, à ce seul nom. (...)

3°) La durée : rien de plus mauvais pour une maison que de changer constamment le sujet de ses affiches.  (...) Et voilà comment on arrive à graver une affiche dans l’esprit du passant, c’est-à-dire de tout le monde.  

 En 1898, Auguste Roedel représente la petite fille vêtue d’une robe rouge à pois blancs et tenant une cartouche de pastilles en chocolat, sur un fond clair noté Chocolat Menier.

 

Dès les débuts, l’entreprise utilise tous les moyens mis à sa disposition pour faire la promotion de la marque : des annonces dans les quotidiens, des affiches sur le long des voies ferrées, en grand format, le nom de la marque peint sur les murs, des kiosques lumineux, des plaques émaillées, des tôles lithographiées, des verres églomisés... La communication passe aussi par des aides à la vente pour les petits détaillants (bocaux à confiserie, distributeurs de pièces...), pour les représentants (des emballages et des tablettes factices, des agendas, etc.), des objets publicitaires : les « petites primes-réclames » (crayons, porte-plumes, moulins à chocolat, pots à lait, presse-papiers, agendas, calendriers, boîtes à musique, jeux, bandes dessinées, puzzles, éventails, thermomètres d’extérieur, des colonnes Moris distributeurs de tablettes...) mais également par la visite de l’usine de Noisiel, considérée comme un véritable tourisme industriel.

L’architecte Stephen Sauvestre et l’ingénieur Armand Considére construisent un bâtiment d’accueil pour les visiteurs et une mise en scène leur permet d’assister au mélange du sucre et du cacao. Menier possède une usine à Noisiel, Londres (1870) et New York (1891) aussi, l’affiche Menier connue une version anglaise. En 1928, les affiches Menier suivent l’évolution artistique et la petite fille devient stylisée (comme la tendance « Arts Déco »), son corps est cylindrique, ses cheveux sont coupés à la garçonne... et son message est typographié.
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1931 : Après avoir assisté au Salon des Arts Ménagers en 1930, Menier participe à l’Exposition coloniale et développe de plus en plus les primes-réclames et les colis payants pour les instituteurs, contenant buvards, protège-cahiers, images...  Le chocolat friandise fait son apparition à Paris, dans les théâtres, les cinémas et le métro.  Afin de varier l’image de la production, un nouveau produit est figuré par blanche2.jpgun petit garçon les bras chargés de produits Menier. En 1936, un an après l’ouverture du Salon Chocolat-Menier sur les Champs-Elysées, la TSF émet les « Concerts du Chocolat-Menier ». En 1939, Menier lance un chocolat supérieur en tablettes, contenant des vignettes, des albums et des récompenses en association avec le film de Walt Disney « Blanche-Neige et les 7 Nains ». L’iconographie de cette campagne publicitaire fut réalisée par Sendraf, qui mélangea le graphisme de Walt Disney et celui de l’affiche Menier de 1930.

A partir des années 1950, la société Menier a du mal à s’adapter à l’évolution du goût des consommateurs, pour essayer de compenser, elle redouble sa politique de communication : publicité sur le lieu de vente, réalisation d’étalages, présence dans les foires et les salons, organisation de jeux d’été sur la plage... Menier est un des premier à utiliser la radio comme moyen de communication publicitaire : Radio-Luxembourg « Le Coin des parents sages » (1950), « Père Bonheur » (1951), puis Europe 1 (jusqu’en 1967). La petite fille des affiches Menier est remplacée par un jeune garçon croquant une carte de France en tablettes et le conditionnement des différentes variétés ne comporte plus que la signature de son fondateur. Un peu plus tard, une affiche d’André Roland présente la silhouette d’une fillette en jupe avec une queue de cheval, écrivant le nom de la marque sur un mur de carré de chocolat.

1962 : Pour mesurer l’impact de son image de marque, la société Menier entreprend un sondage sur les lieux de vente et par l’intermédiaire du journal Marie-Claire. Ce dernier édite en couverture, à l’occasion de la rentrée scolaire, la photographie d’une fillette nattée ayant la même attitude que celle de Menier, écrivant sur un tableau noir, avec à ses pieds un cartable. Au questionnaire mis à la suite de la couverture, le public retient l’attitude générale de la petite fille et reconnaît l’image de Meunier, bien qu’elle ne soit plus éditée depuis deux ans. Finalement, l’entreprise Menier reprend l’image porteuse de la fillette, qui retrouve la simplicité de ses débuts, ses couettes, son graffiti manuscrit « on t’aimera toujours », seul son panier est remplacé par un cartable et son parapluie disparaît.

En 1963, l’usine, en liquidation, cède les logements, alors en mauvais état, à un promoteur qui les revend à l’unité.  La firme commence à décliner à cause de la concurrence des barres chocolatées venues des USA. L'entreprise est alors rachetée par différents acquéreurs, Aujourd'hui, le site Menier, au bord de la Marne  est le siège de la division France de Nestlé  La marque Menier subsiste encore grâce à ses tablettes de chocolat pâtissier, mais elle n'est guère plus mise en avant, notamment à cause du fait que la marque n'est reconnue par les consommateurs que sur le marché français. De ce fait, la multinationale lui préfère son produit « Nestlé dessert ».

 

1988  La société est achetée par Nestlé France, qui installe son siège social sur le site industriel Menier. Menier exploite presque exclusivement le créneau du chocolat à cuisiner et propose dans son conditionnement des idées de recettes. L’emballage devient de couleur verte, signé Menier en or avec les quatre médailles de la même couleur, sur le côté en tout petit figure la première image de la fillette écrivant.

1996  Nestlé-France s’installe à Noisiel berceau du chocolat Menier depuis le milieu du XIXe siècle. Associé depuis un siècle (1892) à l’image d’une petite fille écrivant sur les murs, personnage emblématique de la publicité, Menier fait aujourd’hui partie de la mémoire collective. La modernité dont fait preuve Emile Justin Menier en faisant appel à l’architecte Jules Saulnier pour construire une usine où s’allient efficacement et harmonieusement productivité et esthétique trouve un écho dans cette installation aujourd’hui. Cette appropriation exemplaire du patrimoine industriel et architectural du XIXe - constitue, de même qu’une image- rie publicitaire ancienne célébrissime, une valeur ajoutée dont l’exploitation stratégique peut efficacement s’intégrer à la communication des marques aujourd’hui.

1997  L’association, « Noisiel Ville d’histoire », propose des visites commentées de l’usine qui a toujours conservé son aspect original.

 

 

 

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