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lundi, 26 juillet 2010

L'inscription mise sur la porte de Thélème

Des jeux avec les signifiants comme s'il en pleuvait : En français du XVIème siècle, voici le chapitre 54 de l’illustrissime  Gargantua de François Rabelais, moine, médecin, écrivain de génie. Un texte proprement intraduisible, à cause justement du travail d’orfèvre sur la forme même de la langue française de l'époque. Gargantua octroie au moine Panurge, pour loyaux service rendus, la construction d’une abbaye à sa convenance. Ce sera l’abbaye de Thélème. Sur la porte, voici l’inscription qu’on prescrit de graver, une sorte de droit de passage, en quelque sorte, discriminant tout ce qui n'est pas justement chrétien. Voir notamment les utilisations des signifiants  [go], [chan] [batr] et dans la dernière strophes, [or][don, donne]. Le texte est vieux de cinq siècles, et  demeure l’une des plus belles réussites littéraires du genre. 

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Cy n'entrez pas, hypocrites,  bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux, boursouflez,
Tordcoulx, badaux plus que n'estoient les Gotz.
 Ny Ostrogotz/ precurseurs des magotz/
 Haires, cagotz,  caffars empantouflez.
 Gueux mitouflez, frapars escorniflez
 Befflez, enflez,  fagoteurs de tabus ;
 Tirez ailleurs pour vendre vo' abus.
 

Vos abus meschans
 Rempliroient mes camps
 De meschanceté ;
 Et par faulseté
 Troubleroient mes chants
 Vos abus meschans.



    Cy n'entrez pas maschefains practiciens
    Clers, bazauchiens, mangeurs du populaire,
    Officiaulx, scribes, & pharisiens,
    Iuges, anciens, qui les bons parroiciens
    Ainsi que chiens mettez au capulaire;
    Vostre salaire est au patibulaire,
    Allez y braire: icy n'est faict excès,
    Dont en vo' cours on deust mouvoir procès.


    Procès & debaz
    Peu sont cy desbatz
    Où l'on vient s'esbatre.
    A vous pour debastre
    Soient en plein cabatz
    Procès & debatz.

    Cy n'entrez pas vo' usuriers chichars,

    Brissaulx, leschars, qui tousiours amassez,
    Grippeminaulx, avalleurs de frimars,
    Courbez, camars, qui en vo' coquemars
    De mille marcs ià n'auriez assez.
    Poinct eguassez n'estes quand cabassez
    Et entassez, poiltrons à chicheface;
    La male mort en ce pas vous deface.


    Face non humaine
    De telz gens qu'on maine
    Braire ailleurs: ceans
    Ne seroit seans.
    Vuidez ce dommaine
    Face non humaine.

    Cy n'entrez pas vo' rassotez mastins
    Soirs ny matins, vieulx chagrins & ialous;
    Ny vo' aussy seditieux mutins
    Larves, lutins, de Dangier palatins,
    Grecz ou Latins: plus à craindre que loups
    Ny vous, gualous, verollez iusques à l'ous
    Portez vo' loups ailleurs paistre en bonheur,

    Croustelevez, remplis de déshonneur.
    Honneur, los, deduict,

    Céans est déduict
    Par ioieux acords.
    Tous sont sains au corps,
    Par ce bien leur duict
    Honneur, los, deduict.

    Cy entrez, vous, et bien soyez venuz
    Et parvenuz, tous nobles chevaliers !
    Cy est le lieu ou sont les revenuz
    Bien advenuz; affin que entretenuz
    Grands & menuz, tous, soiez à milliers.
    Mes familiers serez et peculiers :
    Frisques gualliers, ioyeux, plaisans mignons,
    En general tous gentilz compaignons.


    Compaignons gentilz
    Serains & subtilz
    Hors de vilité,
    De civilité
    Cy sont les oustilz
    Compaignons gentilz.


    Cy entrez, vous, qui le sainct Evangile
    En sens agile annoncez, quoy qu'on gronde.
    Ceans aurez un refuge et bastille
    Contre l'hostile erreur, qui tant postille
    Par son faulx stile empoizonner le monde.
    Entrez, qu'on fonde icy la foy profonde.
    Puis qu'on confonde, et par voix et par rolle,
    Les ennemys de la saincte parolle.

 

    La parolle saincte
    Ià ne soit extaincte
    En ce lieu tres sainct
    Chascun en soyt ceinct,
    Chascune ayt enceincte
    La parolle saincte.

    Cy entrez vo' dames de hault paraige !
    En franc couraige entrez y en bon heur,
    Fleurs de beaulté à celeste visaige,
    A droict corsaige, à maintien prude et saige.
    En ce passaige est le seiour d'honneur.
    Le hault seigneur, qui du lieu fut donneur
    Et guerdonneur, pou vo' l'a ordonné.
    Et pour frayer à tout prou ordonné.
    

    Or donné par don
    Ordonne pardon

    A cil qui le donne.
    Et tresbien guerdonne
    Tout mortel preud'hom
    Ordonné par don.

 

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