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dimanche, 21 mars 2010

Genèse de la sémiologie

GENESE : Cette discipline tire ses origines du XVIIe siècle, à l'époque où toute la compréhension du monde était remise en question en fonction d'un nouveau postulat: le rationalisme. On peut identifier trois «pères fondateurs» de la sémiologie (encore appelée «sémiotique»): le britannique Locke, l'américain Peirce et le suisse de Saussure.

Le médecin philosophe anglais John Locke (1632-1704) publie en 1690 son Essay Concerning Human Understanding . il met de l'avant l'idée que l'expérience (empirisme) est plus importante que la modélisation a priori (cartésianisme) et propose par là les moyens d'accéder à la connaissance de la vérité par des moyens différents de ceux que propose son «adversaire» et éminent prédécesseur, le philosophe et savant français René Descartes (1596-1650).

Au chapitre 21 de son livre, Locke propose ses vues sur la division des sciences en trois catégories :

-          la physique ou philosophie naturelle

-          la pratique (la morale)

-          la sémiotique ou connaissance des signes (la logique). Il considère la sémiotique comme mode de renouvellement de la logique toute entière.

Voici ce qu'il en dit: «Son emploi consiste à considérer la nature des signes dont l'Esprit se sert pour entendre les choses, ou pour communiquer la connaissance aux autres. Car puisque entre les choses que l'esprit contemple, il n'y en a aucune, excepté lui-même, qui soit présente à l'entendement, il est nécessaire que quelque chose se présente à lui comme signe ou représentation de la chose qu'il considère, et ce sont les idées. Mais parce que la scène des idées qui constitue les pensées d'un Homme, ne peut pas paraître immédiatement à la vue d'un autre Homme, ni être conservée ailleurs que dans la mémoire, qui n'est pas un réservoir fort affairé, nous avons besoin de signes de nos idées pour pouvoir nous entre-communiquer nos pensées aussi bien que pour les enregistrer pour notre propre usage. Les signes que les Hommes ont trouvés les plus commodes, et ce dont ils ont fait par conséquent un usage plus général, ce sont les sons articulés. C'est pourquoi la considération des Idées & des Mots, autant qu'ils sont les grands instruments de la connaissance, sont une partie assez importante de leurs contemplations, s'ils veulent envisager la Connaissance Humaine dans toute son étendue. Et peut-être que si l'on considérait délicatement et avec tout le soin possible cette dernière espèce de Science qui roule sur les Idées & les Mots, elle produirait une Logique et une Critique différentes de celles qu'on a vues jusqu'à présent.»

 

Le philosophe américain Charles-Sanders Peirce (1839-1914) réfléchit à la même question 200 ans plus tard etPeirce.jpg expose ses idées dans ses Collected Papers qui furent publiés longtemps seulement après sa mort (à partir de 1930). Peirce y milite en faveur du «pragmatisme» où les idées exprimées doivent l'être seulement si elles sont le fruit de l'expérience et en vue de gouverner nos actes. Il propose à son tour une division des sciences narratives en trois branches:

-          l'esthétique

-          l'éthique

-          la logique.

Et l'auteur s'attarde à s'expliquer sur ce qu'il entend par «logique»: «Comme la logique s'exprime par le moyen des signes, on peut considérer la logique comme la science des lois générales des signes.»

Et plus loin, il explicite davantage:

«Dans son sens large, c'est la science des lois nécessaires à la pensée, ou encore mieux (vu qu'elle fonctionne toujours au moyen de signes), c'est une sémiotique générale, qui considère non seulement la vérité mais aussi les conditions générales qui font que les signes sont des signes (ce que Duns Scotus appelle grammaire spéculative), de même que les lois de l'évolution de la pensée qui, comme cela coïncide avec l'étude des conditions nécessaires à la transmission du sens d'esprit à esprit par des signes, et d'un état d'esprit à un autre, fait qu'on doit, prenant avantage d'une vieille association de termes, l'appeler rhétorique spéculative mais que je m'empêche d'appeler inadéquatement «logique objective» car cela transmettrait l'idée juste que cela équivaut à la logique de Hegel.» Et plus loin, il ajoute encore: «La logique, dans son sens général, c'est, comme j'espère l'avoir montré, seulement un autre nom pour 'sémiotique', la doctrine quasi-nécessaire ou formelle des signes.»

Cela est suffisant pour que les gens de l'art considèrent Peirce comme le père de la sémiotique moderne.

 

Mais à peu près à la même époque, un linguiste suisse, Ferdinand de Saussure (1857-1913), s'intéressait aussi aux codes. Son Cours de linguistique générale fut reconstitué et publié en 1916 par un de ses élèves genevois, Charles Bally. Tout linguiste qu'il fut, Saussure comprit rapidement que la langue, comme tous les autres codes sociaux, devait être étudiée de l'intérieur, en tant que système structurel. Voici ce qu'il en disait:

saussure.jpg «La langue est un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces signes. On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale; nous la nommerons sémiologie (du grec semeion, 'signe'). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu'elle n'existe pas encore, on ne peut dire ce qu'elle sera; mais elle a droit à l'existence, sa place est déterminée d'avance.  La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un domaine bien défini dans l'ensemble des faits humains.»

Et plus loin, il ajoutait:

«Le signe échappe toujours en une certaine mesure à la volonté individuelle ou sociale, c'est là son caractère essentiel; mais c'est celui qui apparaît le moins à première vue. Ainsi ce caractère n'apparaît bien que dans la langue, mais il se manifeste dans les choses qu'on étudie le moins, et par contrecoup on ne voit pas bien la nécessité ou l'utilité particulière d'une science sémiologique

Saussure, par là, devint le père de la communication sociale; ses concepts et ses approches se sont répandus dans toutes les sciences humaines et sociales: du journalisme à l'esthétique, de la sociologie religieuse à la publicité, de la logique aux mathématiques, de l'architecture à la linguistique.

La sémiologie insiste sur la mise en lumière des aspects socio-structuraux des systèmes de signes contrairement à la sémiotique qui vise davantage à préciser les relations logiques unissant les signes aux référents. Mais dans un cas comme dans l'autre, ce sont des sciences qui cherchent à comprendre la nature des signes qu'emploient les hommes pour communiquer.

Le sémioticien américain Thomas-A. Sebeok s'est essayé à éclaircir l'ambiguïté qui persiste entre sémiotique et sémiologie sans y réussir tout à fait. Mais l'appellation même de sémiologie, tout en gagnant du terrain sur le plan méthodologique aux Etats-Unis comme ailleurs, perd du terrain dans le monde au profit de l'expression anglo-saxonne «sémiotique»: «la raison du plus fort est toujours la meilleure», comme le reconnaissait La Fontaine.

Il ne faudrait pas manquer de mentionner les noms de deux autres chercheurs qui ont repris le flambeau: Morris et Barthes. Le philosophe et linguiste américain Charles-W. Morris (1901-1979) a développé et répandu les idées de Peirce. C'est lui qui insiste sur le fait que les conditions d'utilisation des signes dans la pratique doivent largement être prises en compte. C'est ce qu'il appelle la «pragmatique». La pragmatique est une discipline qui est largement enseignée et étudiée de nos jours. On se rend bien compte qu'il ne suffit pas de savoir manier logiquement les signes pour pouvoir entrer en communication de manière efficace avec un interlocuteur. Ce qui importe par surcroît, et par certains aspects au premier chef, c'est de pouvoir amorcer les atomes crochus du récepteur. Et cela, c'est mettre en pratique la pragmatique. On peut situer ce concept par rapport à ceux de Peirce qui décelait trois approches dans l'étude systématique des signes:

-          selon que le signe est en relation avec le référent

-          selon qu'il est en relation avec d'autres signes

-          selon qu'il est en relation avec le sujet.

Les deux auteurs nommaient différemment chacun de ces trois aspects :

 

Le signe est en relation avec...

Peirce

Morris

a) le référent

la logique

la sémantique

b) d'autres signes

la grammaire pure

la syntagmatique

c) le sujet

la rhétorique pure

la pragmatique

 

 

Le sémiologue allemand Max Bense (1971) résume sous une forme schématique la nature tridimensionnelle d'un signe selon qu'il est en relation avec:

-          l'objet qu'il représente (ou référent)

-          le signifié qu'il produit (l'interprétant dit Bense à la suite de Peirce)

-          le signifiant qu'il est (le moyen dit Bense, le representamen disait Peirce).

 

Selon le type de rapport qu'un signe entretient avec son référent, le signe sera un icone (ressemblant à l'objet), un indice (ayant une relation de «contiguïté naturelle») ou un symbole (fondé sur une convention arbitraire). Selon la nature du rôle signifiant qu'il joue, un signe est un logisigne (il agit de manière conventionnelle), un sinsigne (qui agit de manière donnée en fonction d'une utilisation spatio-temporelle précise), ou un qualisigne (dont la force évocatrice est propre à lui). Enfin, selon le signifié qu'il est capable d'évoquer, un signe sera ouvert (s'il sert seulement à évoquer une sensation et qui n'est donc ni vrai ni faux sur le plan logique), fermé (s'il sert à faire un énoncé logique, ou vrai ou faux), ou complet (s'il constitue un énoncé nécessairement vrai).

 

Le critique et sémiologue français Roland Barthes (1915-1981) reprit quant à lui les idées de Saussure dans ses Eléments de sémiologie (1964). Dans cet article, l'auteur annonçait sa position en ces termes: «On sait que les linguistes renvoient hors du langage toute communication par analogie, du 'langage' par gestes, du moment que ces communications ne sont pas doublement articulées, c'est-à-dire fondées en définitive sur une combinatoire d'unités digitales, comme le sont les phonèmes. Les linguistes ne sont pas seuls à suspecter la nature linguistique de l'image; l'opinion commune elle aussi tient obscurément l'image pour un lieu de résistance au sens, au nom d'une certaine idée mythique de la Vie; l'image est représentation, c'est-à-dire en définitive résurrection, et l'on sait que l'intelligible est réputé antipathique au vécu. Ainsi, des deux côtés, l'analogie est sentie comme un sens pauvre: les uns pensent que l'image est un système très rudimentaire par rapport à la langue et les autres que la signification ne peut épuiser la richesse ineffable de l'image.

Or, même et surtout si l'image est d'une certaine façon limite du sens, c'est à une véritable ontologie de la signification qu'elle permet de revenir. Comment le sens vient-il à l'image ? Où le sens finit-il ? Et s'il finit, qu'y a-t-il au-delà ? C'est la question que l'on voudrait poser ici en soumettant l'image à une analyse spectrale des messages qu'elle peut contenir. On se donnera au départ une facilité considérable: on n'étudiera que l'image publicitaire. Pourquoi ? Parce qu'en publicité, la signification de d'image est assurément intentionnelle.» Ce fut le point de départ de l'étude sémiologique des images fonctionnelles. Celle-ci peut englober un grand nombre de manifestations imagiques comme l'a mentionné le sémiologue italien Umberto Eco (1972), qui énumère: signalisations formalisées, systèmes chromatiques, systèmes graphiques, propriétés iconiques des graphes, vêtement, signe iconique, unités iconographiques, publicité, bandes dessinées, systèmes de billets de banque, cartes à jouer, rébuts, tarots, projets architecturaux, notation chorégraphique, cartes géographiques et topographiques; et la liste pourrait s'allonger.

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