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samedi, 15 mai 2010

Le message, c'est le médium

Pour comprendre les médias.

Extrait de l’introduction à la deuxième édition de Pour comprendre les médias Marshall Mc Luhan (Points Essais, Paris, 1997) pages 13, 14 & 15.

 

[...] «Le message, c’est le médium», cela signifie, à l’âge électronique, qu’un milieu totalement nouveau a été créé. Le «contenu» de ce milieu nouveau, c’est l’ancien milieu machiniste de l’âge industriel. Le nouveau milieu refaçonne l’ancien aussi radicalement que la télévision refaçonne le cinéma. Le contenu de la télévision, en effet, c’est le cinéma. La télévision nous pénètre de toutes parts et elle est imperceptible, comme tous les milieux. Nous ne prenons conscience que de leur «contenu», ou du milieu antérieur.

Lors de son apparition, la production mécanique a créé petit à petit un milieu dont le contenu était le milieu antérieur de la vie, des arts et des métiers agricoles. Et le nouveau milieu machiniste a fait de l’ancien milieu une forme d’art. La machine a transformé la Nature en forme d’art. Pour la première fois, à ce moment, les hommes ont commencé à regarder la nature comme une source de valeurs esthétiques et spirituelles. Ils ont commencé à s’étonner que les époques précédentes n’aient pas perçu l’univers naturel comme art. Chaque nouvelle technologie crée un milieu, vu en soi comme corrompu et dégradant, mais qui transforme cependant son prédécesseur en forme d’art. Quand l’écriture était une nouveauté, Platon transformait l’ancien dialogue oral en forme d’art. À l’apparition de l’imprimerie, ce fut le Moyen Âge qui devint objet d’art. La «vision élisabéthaine du monde» était une vision du Moyen Âge. Et l’ère industrielle a fait de la Renaissance une œuvre d’art, comme le montrent les oeuvres de Jacob Burckhardt,  Siegfried Giedion, à son tour, nous a montré, à l’âge de l’électricité, comment voir tout le processus de la mécanisation comme un processus artistique .

À mesure que la prolifération de nos technologies créait toute une série de nouveaux milieux, les hommes se sont rendu compte que les arts sont des «contre-milieux» ou des antidotes qui nous donnent les moyens de percevoir le milieu lui-même.

 

Hollywood 1952.jpg

En effet, comme l’a expliqué Edward T. Hall, les hommes ne sont jamais conscients des règles fondamentales des systèmes et des cultures qui constituent le milieu où ils vivent. Aujourd’hui, les technologies et les milieux qui en résultent se succèdent les uns aux autres à un tel rythme qu’un milieu nous rend conscients du suivant. Les technologies commencent à jouer le rôle que jouait l’art et à nous rendre conscients des conséquences psychiques et sociales de la technologie.

L’art vu comme contre-milieu ou antidote au milieu devient plus que jamais un moyen de former la perception et le jugement. L’art vu comme article de consommation courante plutôt que comme moyen dé former la perception reste aussi snob et aussi ridicule qu’il l’a toujours été. L’étude des média ouvre immédiatement les portes de la perception. [...]

[...] On connaît depuis longtemps le pouvoir qu’ont les arts de devancer une évolution sociale et technologique future, quelquefois plus d’une génération à l’avance. En notre siècle, Ezra Pound a dit des artistes qu’ils étaient «les antennes de la race». L’art est un radar, une sorte de système de détection à distance, pourrait-on dire, qui nous permet de détecter des phénomènes sociaux et psychologiques assez tôt pour nous y préparer. Cette notion de l’art considéré comme prophétie contraste avec l’idée populaire qu’il s’agit simplement d’une expression du moi. Si l’art est un système «d’alerte préalable», comme on appelait le radar, qui était encore une nouveauté, pendant la guerre de 1939, il est extrêmement pertinent non seulement à l’étude des média, mais aussi à la création de moyens de les dominer.

Quand le radar fit son apparition, on découvrit qu’il était nécessaire d’éliminer les barrages de ballons qui avaient jusqu’alors protégé les villes. Les ballons interceptaient l’onde en retour qui portait l’information-radar désirée. Il se peut fort bien qu’il en soit de même des programmes scolaires actuels, pour ne rien dire de l’ensemble des arts. Nous pouvons nous permettre de n’en utiliser que la partie qui amplifie la perception de nos technologies et leurs conséquences psychiques et sociales. L’art comme milieu radar est un formateur essentiel de la perception plutôt qu’une nourriture réservée aux élites. Et même si les arts, vus comme retour d’onde radar, nous fournissent une image collective dynamique et fluctuante, nous devrons peut-être nous en servir pour tenir le cap vers des buts inchangés plutôt que pour changer de route. Nous savons déjà qu’il est futile de changer d’objectifs aussi souvent que de technologies. [...]

 

 

Le message c’est le médium.

Extrait du premier chapitre de "Pour comprendre les médias"

Marshall Mc Luhan (Points Essais, Paris, 1997), pages 25 à 27.

[...] Dans une culture comme la nôtre, habituée de longue date à tout fragmenter et à tout diviser pour dominer, il est sans doute surprenant de se faire rappeler qu’en réalité et en pratique, le vrai message, c’est le médium lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. Ainsi, il est clair que les nouveaux modèles d’association humaine nés de l’automation tendent à éliminer les emplois. C’est là le résultat négatif.

L’automation, par contre, a aussi des résultats positifs: elle crée des rôles, c’est-à-dire une participation profonde des gens à leur travail et à leur société, participation que la technologie mécanique antérieure avait détruite. Beaucoup de gens croient que ce n’était pas la machine elle-même mais bien l’usage qu’on en faisait qui était signifiant, qui en était le message. Pour ce qui est des façons dont la machine a transformé nos relations avec nous-mêmes et avec les autres, en vérité, il importait peu qu’elle produisît des Cadillacs ou des cornflakes. C’est le principe de fractionnement, qui est l’essence même de la technologie mécanique, qui façonnait les structures de travail et d’association des humains. L’essence de la technologie de l’automation est tout à l’opposé. Elle est englobante et profondément décentralisatrice, alors que la machine était fractionnelle, centralisatrice et superficielle dans son façonnement des relations

humaines.

Au fil de ce raisonnement, l’exemple de la lumière électrique nous éclairera peut-être.

La lumière électrique est de l’information pure. C’est un médium sans message, pourrait-on dire, tant qu’on ne l’utilise pas pour épeler une marque ou une publicité verbales. Ce fait, caractéristique de tous les média, signifie que le «contenu» d’un médium, quel qu’il soit, est toujours un autre médium. Le contenu de l’écriture, c’est la parole, tout comme le mot écrit est le contenu de l’imprimé et l’imprimé, celui du télégraphe. Et si l’on demande: «Quel est le contenu de la parole ?», il faut répondre:

«C’est un processus «actuel» de pensée, en lui-même non verbal». Une peinture non figurative représente une manifestation directe des processus de la pensée créatrice, comme pourraient en produire des ordinateurs. Ce qui nous préoccupe ici, toutefois, ce sont les effets psychologiques et sociaux des modèles ou des produits en tant qu’accélérateurs ou amplificateurs des processus existants. En effet, le «message» d’un médium ou d’une technologie, c’est le changement d’échelle, de rythme ou de modèles qu’il provoque dans les affaires humaines. Le chemin de fer n’a pas apporté le mouvement, le transport, la roue ni la route aux hommes, mais il a accéléré et amplifié l’échelle des fonctions humaines existantes, créé de nouvelles formes de villes et de nouveaux modes de travail et de loisir. Et cela s’est produit partout où le chemin de fer a existé, que ce soit dans un milieu tropical ou polaire, indifféremment des marchandises qu’il transportait, c’est-à-dire indifféremment du contenu du médium «chemin de fer». L’avion, lui, en accélérant le rythme du transport, tend à dissoudre la forme «ferroviaire» de la ville, de la politique et de la société, et ce, indifféremment de l’usage qui en est fait.

Mais revenons à la lumière électrique. Qu’on l’utilise pour la neurochirurgie ou pour éclairer un match de baseball n’a aucune importance. On pourrait même dire que ces occupations sont d’une certaine façon le contenu de la lumière électrique puisqu’elles ne pourraient pas exister sans elle. Cette évidence ne fait que souligner l’idée que «le message, c’est le médium» parce que c’est le médium qui façonne le mode et détermine l’échelle de l’activité et des relations des hommes. Les contenus ou les usages des média sont divers et sans effet sur la nature des relations humaines. En fait, c’est une des principales caractéristiques des média que leur contenu nous en cache la nature.

Ce n’est que récemment que les entreprises ont pris conscience du type d’affaires qu’elles traitent. Chez IBM, on commença à voir où l’on allait quand on découvrit que l’on ne fabriquait pas du matériel de bureau et des calculatrices, mais que l’on «traitait» de l’information. La General Electric tire une partie importante de ses profits de la vente d’ampoules électriques et de systèmes d’éclairage mais n’a pas encore découvert que sa véritable activité, comme celle d’AT&T, consiste à transporter de l’information.

Si la lumière électrique échappe à l’attention comme médium de communication,

c’est précisément qu’elle n’a pas de «contenu», et c’est ce qui en fait un exemple précieux de l’erreur que l’on commet couramment dans l’étude des média. En effet, on ne voit enfin la lumière électrique comme médium que lorsqu’elle sert à épeler quelque marque de commerce. Et à ce moment, ce n’est pas la lumière elle-même mais son contenu (et donc, en réalité, un autre médium) qui frappe l’attention. Le message de la lumière électrique, comme celui de l’énergie électrique pour l’industrie, est absolument radical, décentralisé et enveloppant. La lumière et l’énergie électriques, en effet, sont distinctes des usages qu’on en fait. Elles abolissent le temps et l’espace dans la société, exactement comme la radio, le télégraphe, le téléphone et la télévision, et imposent une participation en profondeur.

10:28 Publié dans Textes critiques | Tags : mac luhan | Lien permanent | Commentaires (0)

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