lundi, 28 juin 2010
Jean Widmer
Arrivé en France en 1953, à l'âge de vingt-quatre ans, Jean Widmer, né en 1929 à Frauenfeld en Suisse alémanique, est de ceux qui ont contribué à modeler le paysage graphique français au cours de la seconde moitié du xxe siècle. Les nombreuses identités visuelles conçues avec son agence Visuel Design ont en particulier introduit cette approche réglée, objective et mesurée caractéristique de la création helvète, dont la France était jusque-là peu familière.
Formé à l'école d'art appliqué de Zurich, Widmer a bénéficié d'un d'héritage direct du Bauhaus et de la Nouvelle Typographie. À Paris, il devient directeur artistique aux Galeries Lafayette, où il succède à son compatriote Peter Knapp, puis au magazine Jardin des modes. Widmer commence par ailleurs à enseigner en 1960 à l'École nationale supérieure des arts décoratifs, où il participera de façon décisive à la formation de plusieurs générations de graphistes.
En 1969, il est sollicité par François Barré afin de concevoir la ligne graphique du tout nouveau Centre de création industrielle (C.C.I.), voué à la promotion du design au sein de l'Union centrale des arts décoratifs. L'image du C.C.I. compte parmi les premiers logos que dessine Widmer. Celui-ci élaborera par la suite, avec son agence, de nombreuses chartes graphiques, notamment celles du Printemps-Brummel, du musée d'Orsay (1983-1987) avec Bruno Monguzzi, de la Galerie nationale du Jeu de Paume (1991) et de la Bibliothèque nationale de France (1994) à Paris, ou à Bâle celle du Museum für Gestaltung Basel (1990).
Conçue comme un véritable programme, l'identité visuelle du C.C.I. marque un tournant dans la carrière de Widmer. La maîtrise dont il fait preuve dans la définition d'un système cohérent, déclinable à long terme sur des supports multiples, le place en position privilégiée lorsque le Centre Georges-Pompidou alors en gestation, un peu moins de trois ans avant son ouverture, lance en 1974 un concours international pour la conception de son « image de marque ». Associé pour la circonstance avec le graphiste suisse Ernst Hiestand, Widmer en est le lauréat.
Le logo créé pour le C.C.I. (un demi-cercle, évoquant un C, relié à un carré plus petit aux bords arrondis), comme le principe graphique général dans lequel il s'inscrit (une grille immuable, et l'usage exclusif du caractère Helvetica, commandant la composition des affiches), exploite un répertoire « constructif », dans la lignée des créations de ses compatriotes les artistes Max Bill et Richard-Paul Lohse, fondé sur le contrôle de la composition et la réduction du vocabulaire plastique.
Le logo du Centre Georges-Pompidou (qui vient, précisons-le, compléter à la fin de 1976 un dispositif dans lequel il n'était pas inclus au départ), inspiré de l'architecture de l'édifice par Renzo Piano et Richard Rogers, témoigne du même type de recherche plastique. Prenant la façade du bâtiment pour modèle, il interprète et simplifie celle-ci à travers un visuel synthétique : six barres horizontales superposées – une par niveau – formant un rectangle traversé, de l'angle inférieur gauche à l'angle supérieur droit, par une double ligne serpentine évoquant l'escalier roulant. On y retrouve les caractéristiques de l'art concret des Zurichois, qui a profondément marqué l'éducation de Widmer : grille orthogonale, facture anonyme, traitement en aplat, absence de hiérarchisation entre figure et fond.
Cependant, cette rigueur toujours à l'œuvre ne peut résumer une démarche variant les approches selon les contextes de commande, et toujours en quête de registres visuels familiers, aptes à instaurer une relation simple et non solennelle avec le public. Ainsi, par exemple, les couleurs fluorescentes, les dégradés et les formes arrondies des affiches du C.C.I. attestent un goût pour l'esthétique pop. Le caractère Courrier, rappelant celui des machines à écrire, choisi pour l'ensemble de la communication du Centre Georges-Pompidou, rompt de façon nette avec les usages alors en cours dans le domaine institutionnel. Les pictogrammes réalisés entre 1972 et 1978 pour les autoroutes françaises, hiéroglyphes ludiques animant les mornes abords de celles-ci par l'instauration d'un lien imagé avec les régions traversées, illustrent la combinaison de rationalité et de fantaisie propre aux créations de Visuel Design.
La production de l'agence dirigée par Widmer témoigne au fil des années d'un champ d'intervention extrêmement étendu, de l'espace de la page à celui de la ville ou du territoire. Que l'on considère la série d'ouvrages de la collection Monographies, lancée au milieu des années 1980 par le C.C.I. au Centre Georges-Pompidou, pourvus d'une reconnaissable jaquette noire ornée d'un paraphe blanc très agrandi, ou bien les grands programmes signalétiques (notamment pour le réseau des autobus parisiens en 1989, et pour les aéroports de Paris en 1994), la réflexion est identique. Quelle que soit l'échelle des projets sont en jeu la même expertise typographique, la même pensée fonctionnelle, et la même conviction quant au rôle capital du designer graphique dans notre environnement – ce dont la carrière entière de Widmer fait la démonstration. Le travail de Jean Widmer a fait l'objet, en 1995, d'une monographie éditée par le Centre Georges-Pompidou, sous la direction de Margo Rouard-Snowman.
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