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vendredi, 23 avril 2010

Communication de masse

 La Communication de masse, c'est un émetteur (ou un ensemble d'émetteurs liés entre eux) s'adressant à tous les récepteurs disponibles. Là, la compréhension est considérée comme la moins bonne, car le bruit est fort, mais les récepteurs bien plus nombreux. Elle dispose rarement d'une rétroaction, ou alors très lente (on a vu des campagnes jugées agaçantes par des consommateurs, couches pour bébé par exemple, conduire à des baisses de ventes du produit vanté). Ce type de communication a été conceptualisé avec l'apparition des notions d'organisation de masse dont quatre éléments sont la standardisation, le Fordisme, le taylorisme et la publicité... On parle de médias de masse ou « MassMedia ». En font partie la radiocommunication, la radiodiffusion et la télévision. L'absence de réponse possible en fait un outil idéal de la Propagande, ce que souligna à plusieurs reprises Georges Bernanos.  L'apparition de l'internet rend la rétroaction possible

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Le 24 octobre. A Varsovie, un meeting de plusieurs milliers de personnes auquel participe Władysław Gomułka se déroule sur la place des Défilés. Les premières informations relatives aux événements de Budapest, affluent. Stefan Staszewski (1er secrétaire du Comité Varsovien du Parti Ouvrier Unifié de Pologne - PZPR) :  Un océan de têtes, la foule, mercredi, 15 heures. [...] Des pancartes et des drapeaux blanc et rouge et pour la première fois, des inscriptions de solidarité et de soutien avec le peuple hongrois dans sa lutte, surtout les pancartes près de la tribune. Gomułka est horriblement tendu.

Władysław Gomułka (1er secrétaire du Comité Central du Parti Ouvrier Unifié de Pologne - PZPR) : Camarades ! Citoyens ! Travailleurs de la capitale ! [...] Au cours de ces dernières années, beaucoup de mal, de désordre et de douloureuses déceptions se sont accumulés en Pologne. Les idées du socialisme imprégnées de l'esprit de liberté de l'homme et du respect des droits du citoyen, ont été en pratique profondément altérées. Les mots n'ont pas trouvé de reflet dans la réalité. Les lourdes difficultés de la classe ouvrière de la nation entière, n'ont pas donné les fruits espérés. Je crois profondément que ces années sont définitivement derrière nous.
[...] Je m'adresse aujourd'hui au peuple des travailleurs de Varsovie et à tout le pays, avec cet appel : Assez de meetings et de manifestations ! Il est temps de reprendre le travail quotidien en ayant conscience et en croyant que le parti uni à la classe ouvrière et à la nation, conduira la Pologne sur la nouvelle voie du socialisme.


Par communication de masse, on entend l'ensemble des techniques contemporaines qui permettent à un acteur social de s'adresser à un public extrêmement nombreux. Les principaux moyens de communication de masse ou mass media sont la presse, l'affiche, le cinéma, la radiodiffusion et la télévision. Sous leur forme actuelle en tout cas, il s'agit de techniques caractéristiques du xxe siècle et nées dans la société industrielle avancée. Cependant, il est frappant de constater que leur implantation tend, aujourd'hui, à précéder l'industrialisation dans les pays en voie de développement.

À partir de 1930 environ, la communication de masse est apparue comme un problème social. Jusqu'alors, seul le rôle de la presse écrite, essentiellement conçue comme un moyen d'information, et principalement d'information politique, avait fortement attiré l'attention. Mais, au cours des années trente, le cinéma parlant se développe ; la radio, la presse quotidienne et les magazines adoptent de nouvelles formules, fondées d'abord sur la recherche d'un contact aussi direct que possible avec la masse du public ; en même temps, on travaille à la mise au point de la télévision. D'où un très vif intérêt pour les mass media, et surtout pour leur éventuelle efficacité dans des domaines tels que la propagande politique, la publicité, ou même l'éducation. D'où également, en particulier dans les milieux intellectuels, une vive crainte de l'emprise qu'ils pourraient avoir sur la population et de ses conséquences sociales et culturelles. Ces espoirs et ces inquiétudes vont alimenter une forte demande sociale en matière de recherche sur les effets de la communication de masse. Aux États-Unis en particulier, de nombreuses enquêtes sont organisées et, jusque vers 1960, la recherche en ce domaine va constituer l'un des secteurs les plus actifs des sciences sociales. Elle éprouvera cependant quelque difficulté à se dégager de la manière dont les problèmes ont été posés par l'opinion publique. Difficulté dont témoigne l'ambiguïté du terme même de « masse », employé tantôt dans un sens normatif (le public en tant qu'il est jugé irresponsable ou inculte, ou le public en tant qu'il est trompé et « manipulé »), tantôt dans un sens simplement quantitatif (le public en tant qu'il est très nombreux). Les sciences sociales s'efforceront pourtant de ne retenir que la seconde de ces acceptions.

Selon Harold Lasswell (1948), le champ de la communication peut être défini par les cinq termes de la question : « Qui dit quoi, par quel canal, à qui, avec quels effets ? » Les études en matière de communication comporteront donc cinq secteurs : émetteurs, contenu, medium, audience, effets. Ainsi, le couple behavioriste stimulus-réponse (quoi, avec quels effets) est situé dans le jeu des rapports sociaux (qui, à qui). L'évolution de la recherche et des idées a fortement déplacé chacun des termes du schéma dans l'application qui a pu en être faite aux communications de masse. La sociologie américaine des mass media a implicitement remis en cause la notion d'effet en resituant l'action des mass media au sein d'un ensemble de facteurs très divers. D'autre part, s'est dessinée, surtout en Europe, une forte tendance à mettre en avant la dimension culturelle de la communication de masse (cf. sociologie demasseCulture de masse). Au fur et à mesure que l'étude des communications de masse a dépassé le champ de l'information, pour atteindre en particulier celui de la fiction, les analystes ont été amenés à relier l'étude de la communication de masse à des données d'ordre psychologique, psychanalytique ou anthropologique.

Toutefois, depuis les années soixante-dix, il apparaît que l'étude des communications de masse tend à perdre sa spécificité et à se réorganiser dans un autre ensemble comprenant les diverses techniques de télécommunication, les nouveaux médias audio-visuels et les problèmes que pose leur insertion socio-culturelle, actuelle ou potentielle.

» sur InternetL'offre et la demande

T. Parsons et W. White (1960) proposent de décrire les mass media dans la société américaine comme des mécanismes opérant au sein d'un « marché » entre les fournisseurs du contenu culturel et le public. Contrairement à une vue naïve et répandue, le contenu des mass media ne serait donc pas déterminé unilatéralement par l'offre, mais serait le résultat d'une adaptation réciproque de l'offre et de la demande. Ce schéma est applicable à l'ensemble des pays occidentaux, qui ont tous connu un processus de privatisation des moyens de communication audiovisuels. Ne font encore exception qu'une grande part des États en voie de développement et les derniers États pratiquant un contrôle de l'information.

Les émetteurs

Le contrôle des mass media, comme celui des principales branches de l'industrie dans les pays occidentaux, est de type oligopolistique : quelques très grandes entreprises contrôlent chacune des branches de la production. Le type de concurrence qui y règne peut être ramené à celui que les économistes décrivent comme « concurrence monopolistique » ou « concurrence imparfaite », partiellement compatible avec l'exercice des lois du marché. Diverses études ont été consacrées à l'économie des mass media (par exemple celles de P. Flichy, 1980). On a pu relever certains phénomènes de déconcentration, en particulier dans l'évolution de la production cinématographique. Mais la tendance générale reste à la concentration, dont l'exemple le plus frappant est aujourd'hui l'évolution de la presse quotidienne.

Un certain nombre d'études ont été consacrées aux processus de prises de décision au sein des mass media, notamment dans le domaine de l'information. Le contrôle tend à s'exercer dans un sens favorable à l'ordre établi et en particulier aux relations de classe et de pouvoir qui le constituent (W. Breed, 1955). L'influence propre du milieu des journalistes reste un objet de discussion. Divers analystes ont noté, toutefois, une vive tension entre certains réalisateurs du contenu culturel (journalistes, artistes, réalisateurs), et les détenteurs du pouvoir économique au sein des mass media. Cette tension a fait l'objet de diverses théories sur la situation du « créateur » dans le domaine des mass media ; elle a pu être interprétée comme liée au caractère collectif de la production et à la standardisation du contenu culturel de la communication de masse (H. Powdermaker, 1950, E. Morin, 1962).

Le public

Le public des mass media est, en général, bien connu du point de vue de l'âge, du sexe et des principales catégories socio-professionnelles : à des fins publicitaires en particulier, des enquêtes très précises sont régulièrement menées sur l'audience de chaque journal ou de chaque chaîne de radio et permettent d'en suivre l'évolution. De l'ensemble des documents dont on dispose sur le public des mass media il ressort que, dans les sociétés industrielles, les moyens de communication de masse touchent la quasi-totalité des individus. D'autre part, la consommation moyenne en matière de mass media est extrêmement importante (environ deux heures et demie de télévision par jour et par personne aux États-Unis et en Grande-Bretagne). En même temps, on observe d'importants chevauchements entre l'audience des différents media. Selon P. F. Lazarsfeld et P. Kendall (1948), la probabilité pour qu'un individu soit un gros consommateur d'un medium (par exemple, le cinéma) est d'autant plus forte qu'il est gros consommateur d'un autre medium (par exemple, la radio) ; cette découverte semble avoir une portée assez générale.

Pourtant, la consommation apparaît comme très différenciée selon les âges, les sexes et les catégories socio-professionnelles. On peut relever une dominance « familiale » dans le public de la télévision, une dominance « jeune » dans le public du cinéma, une dominance féminine dans le public de la radio et de certains magazines, une dominance masculine dans le domaine de la presse quotidienne. La différenciation sociale du public des différents magazines est extrêmement forte et rappelle celle de l'électorat des partis de droite et de gauche.

On a beaucoup discuté le type d'intérêt ou de « participation » apporté par le public à la consommation des mass media. À la thèse d'un public fasciné, totalement adhérent au contenu de la communication de masse, s'est opposée la thèse d'une réception distancée, ironique, voire indifférente. Il semble en fait qu'un très haut niveau de participation soit compatible avec une certaine distanciation. Des distinctions sont à faire toutefois, non seulement du point de vue du niveau culturel de l'audience, mais également du point de vue de l'image qu'elle se fait du medium et précisément de la source de la communication, et plus encore peut-être du point de vue des types de contenu. Enfin, les attitudes et les expectations du public à l'égard des moyens de communication de masse paraissent en général d'une grande stabilité.

Le message et le medium

Le contenu

D'une manière très caractéristique, la recherche américaine a rejeté les méthodes traditionnelles d'étude des textes au profit d'une discipline originale, l'analyse de contenu, d'abord définie comme une étude systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication, entreprise en vue d'inférences concernant l'émetteur, l'audience ou les effets (B. Berelson, 1952), mais dont les procédures et les champs se sont progressivement élargis sous l'influence de disciplines comme la linguistique ou la théorie de l'information.

Dans le champ de la communication de masse, les analyses américaines classiques se sont avant tout attachées à relever différences et concordances entre l'univers décrit par les mass media et l'univers « réel » de l'audience. Ainsi, on a pu montrer que les héros de certaines fictions se situent presque exclusivement dans les groupes ethniques et socio-professionnels dont le prestige est le plus élevé. Certains types de contenus excluent systématiquement les thèmes angoissants tels que mort, maladie, vieillesse, problèmes politiques et sociaux, chômage, etc. D'une façon plus générale, les analyses de contenu ont mis en lumière la conformité de certains types de messages des mass media avec des stéréotypes sociaux, moraux, culturels divers. De nombreuses données diachroniques ont fait apparaître l'évolution au cours du temps de la thématique ou des valeurs (L. Lowenthal, 1944).

La conception naturaliste présidant à ces recherches (le contenu est comparable à la vie « réelle ») n'a pas nécessairement fait obstacle à la description de messages à faible tonalité symbolique. Mais les résultats acquis par cette voie ne paraissent pas pouvoir être étendus avec profit aux messages fortement symboliques : de fait, dans le domaine des fictions les plus caractérisées, comme par exemple le cinéma, les analyses les plus convaincantes ont cherché à élaborer le contenu latent de la communication, en faisant appel à des données non quantitatives, par exemple d'ordre esthétique, psychanalytique ou anthropologique (M. Wolfenstein et N. Leites, 1950). De divers côtés et à des titres divers, d'autre part, on s'est accordé à reconnaître l'importance fondamentale de faits relevant du genre ou de la structure des œuvres diffusées par les moyens de communication de masse.

Le terme de « culture de masse » a été fréquemment utilisé pour désigner l'ensemble des contenus les plus caractéristiques des mass media, considérés comme formant un type original de culture.

Le medium

La sociologie des communications de masse a fourni une description de l'audience et des conditions sociales de la réception de chaque medium, en particulier, au cours des années 1956-1961, de la télévision. Ces études n'ont pas abouti à d'importantes généralisations théoriques concernant le medium, mais elles ont permis de développer une bonne connaissance des conditions concrètes de la réception des principaux media et, surtout pour la télévision, de ses répercussions à court terme sur le travail scolaire, la lecture, les diverses occupations quotidiennes...

D'autre part, Marshall McLuhan (1964) a lancé l'idée selon laquelle le medium serait le seul facteur véritablement déterminant du processus de la communication : « Le message, c'est le medium. » À la limite, le medium, dans la conception duquel McLuhan englobe tout le domaine technique, finit par apparaître chez lui comme le déterminant exclusif de l'évolution socio-culturelle dans son ensemble. Énoncée en des termes qui ne favorisent ni la validation empirique, ni même à vrai dire une discussion précise, la thèse de McLuhan a eu le mérite de montrer l'absence d'une théorie valable du medium et, par le succès qu'elle a obtenu, l'attente du public en ce domaine.

Certains media enfin, surtout le cinéma, ont donné lieu depuis longtemps à des analyses du type de celles que pratiquent les sciences de l'art et de la littérature (R. Arnheim, 1932, R. Warshow, 1962). La tendance de ces analyses est de faire place à des perspectives linguistiques ou sémiologiques qui s'efforcent de dégager les données de « langage » ou d'écriture caractéristiques de chaque medium (C. Metz, 1968).

Les « effets »

Les études portant sur la dimension culturelle de la communication montrent la complexité des relations entre le message et les autres éléments du processus de la communication. C'est ce que confirme l'analyse des « effets » de la communication de masse.

Selon J. T. Klapper (1960), « la communication de masse n'agit pas normalement comme une cause nécessaire et suffisante d'effets sur l'audience, mais plutôt fonctionne au sein et par l'intermédiaire d'un réseau d'influences et de facteurs médiats ». Autrement dit, il n'est pas possible, en dehors de quelques situations exceptionnelles, de rapprocher terme à terme des données concernant le message ou le medium et des données d'ordre sociologique, comme dans le cas des traits du comportement de l'audience, et de les considérer comme liées par une relation de causalité. Effectivement, la fusion des mass media avec l'ensemble socio-culturel dans lequel ils s'intègrent est telle qu'il ne paraît guère possible d'isoler des relations de cause à effet, si ce n'est peut-être dans le domaine des « campagnes » (E. Katz et P. F. Lazarsfeld, 1955), c'est-à-dire de tentatives, bien délimitées dans le temps, pour modifier l'attitude ou le comportement du destinataire de la communication.

À l'évidence populaire des profonds bouleversements accomplis par les mass media, et spécialement par la télévision, la sociologie paraît donc n'apporter aucune confirmation précise. Elle ne voit guère dans les mass media qu'un « facteur de renforcement des conditions existantes » (J. T. Klapper). Ainsi, par une sorte de paradoxe, vigoureusement exploité par McLuhan, un des traits les plus manifestes de la modernité, la communication de masse, paraît se résoudre en une simple tendance à la conservation.

Sans doute faudrait-il abandonner la notion d'« effet » au profit d'approches mettant au premier plan la signification des messages aux yeux des acteurs qui les utilisent, et d'où découle éventuellement leur comportement. Cette signification paraît cependant varier fondamentalement selon que l'on considère les messages qui sont expressément destinés à modifier le comportement du destinataire (et en particulier, pour ce qui concerne les mass media, la communication « persuasive »), et les autres types de messages.

  Communication « persuasive » et « two-step flow »

Les études des campagnes éducatives, politiques, publicitaires ou autres, entreprises par le canal des mass media, ont mis en lumière les difficultés qu'il y a à transformer par cette voie les attitudes et les comportements du public. Ainsi, la sociologie des mass media a conclu au rejet des théories pessimistes, à la mode aux environs de la Seconde Guerre mondiale, selon lesquelles les mass media donneraient à ceux qui les contrôlent le pouvoir de « manipuler » à leur gré le public.

Divers phénomènes de sélectivité, portant aussi bien sur le choix des messages que sur leur perception ou la manière dont ils sont retenus, font que les individus et les groupes qui constituent le public écartent, en fait, les contenus en désaccord manifeste avec les valeurs et les normes qui sont les leurs. Les expériences de laboratoire confirment sur ce point les enquêtes entreprises sur le terrain : on a pu montrer par exemple l'inefficacité totale de certaines campagnes de type « éducatif » entreprises par l'intermédiaire des mass media.

Les résultats les plus marquants, toutefois, sont ceux qui ont été établis par les équipes du Bureau of Applied Social Research de l'université Columbia (New York), animées en particulier par Lazarsfeld, et d'où il ressort que l'influence des mass media n'est normalement effective que lorsqu'elle est prise en relais par les réseaux de communication et d'influence personnelle existant au sein des groupes primaires (famille, petits groupes d'amis ou de collègues). Les contacts au sein de ces groupes paraissent avoir sensiblement plus d'influence que les mass media, par exemple à l'égard des intentions de vote ; et, dans la mesure où les mass media exercent une influence, celle-ci requiert l'intermédiaire d'individus, les « leaders d'opinion », qui en sont à la fois les agents de transmission et les interprètes.

Or, ces leaders d'opinion sont plus gros consommateurs de mass media que ceux sur lesquels ils ont une influence, au moins dans le domaine au sein duquel s'exerce cette dernière. D'où la thèse d'un two-step flow, d'un flux à deux paliers de la communication, et, en particulier, de l'influence qui s'exercerait d'abord des mass media sur les leaders d'opinion, puis de ceux-ci vers ceux qu'ils influencent. Cette thèse, d'abord énoncée à propos du domaine de l'action politique et des choix électoraux (cf. The People's Choice, de Lazarsfeld, Berelson & Gaudet), a par la suite été testée avec succès dans divers autres domaines (cf. Personal Influence de Katz et de Lazarsfeld).

Ces découvertes ont, de toute évidence, une portée considérable. Elles tendent, en effet, à placer l'influence des mass media sous la dépendance de phénomènes d'un autre ordre, et en particulier de l'interaction au sein des petits groupes. Elles montrent, d'autre part, combien sont rapides les vues maintes fois exposées, selon lesquelles les groupes primaires tendent à perdre toute consistance au sein de la société industrielle avancée. Elles expliquent que les mass media ne soient un facteur efficace de changement social que dans un nombre restreint de situations.

Si, normalement, des innovations ou des changements qui ne sont proposés que par les seuls mass media se heurtent à la résistance des groupes primaires, et donc du public, dans certains cas ces innovations peuvent correspondre à une attente jusqu'alors informulée et être accueillies favorablement par les réseaux d'influence et de communication existant au sein des groupes primaires. Les moyens de communication de masse peuvent d'autre part jouer un rôle efficace dans la création, ou plutôt dans la structuration des opinions sur des thèmes dont ils sont les premiers à informer le public.

  Autres types d'« effets »

On a couramment attribué aux mass media, et en particulier aux fictions qu'ils contiennent, toutes sortes d'effets négatifs, spécialement sur les enfants et les adolescents. Ces imputations ne sont pas étrangères aux dispositions de censure ou de protection légale qui ont été instaurées dans la plupart des pays à l'égard du cinéma et de la presse enfantine. Il est à noter que les formulations adoptées par ceux qui ont allégué de semblables effets rendent difficile la distinction entre les imputations d'effets précis (par exemple, « la télévision entraîne une baisse de la qualité du travail scolaire », ou « le cinéma contribue au développement de la délinquance juvénile ») et les simples jugements négatifs à l'égard du contenu de la communication de masse (contenu jugé « violent », « superficiel », « puéril », « favorisant l'évasion » ou « la passivité », etc.).

La recherche s'est néanmoins efforcée de tester, par des méthodes empiriques (études cliniques, enquêtes en laboratoire, exploitation statistique de données diverses et surtout de questionnaires), les « effets » attribués aux mass media. Les potentialités pédagogiques des médias audio-visuels et leurs effets sur les modalités d'apprentissage ont fait par ailleurs l'objet de très nombreuses recherches, mais qui dépassent le cadre de la communication de masse proprement dite (par exemple celles de G. Salomon, 1979).

Le problème le mieux étudié, sans doute parce qu'il a suscité des inquiétudes particulièrement vives, est celui de l'effet des scènes de violence sur les enfants et sur les adolescents. En dehors du fait avéré que certains types de scènes sont propres à terrifier les très jeunes enfants, la possibilité d'effets fâcheux d'une trop grande répétition de scènes de meurtres ou de violence paraît se situer au-delà de toute vérification empirique. Aucune relation directe de cause à effet n'a pu être établie entre la consommation de scènes de violence et la délinquance. Certes, les enfants en situation psychologique ou sociale difficile (frustration, manque de camarades, délinquance) sont parfois de plus gros consommateurs de fiction, et en particulier de violence, que les autres jeunes du même âge, mais on ne peut tenir pour généralement démontré que cette consommation ait un effet favorable ou défavorable quant à la résolution de leurs conflits (L. Bogart, 1956, L. Bailyn, 1959). D'autre part, les enfants paraissent beaucoup plus sensibles à un climat d'angoisse, d'épouvante, de culpabilité, ou même simplement d'incertitude, qu'à la violence elle-même (H. T. Himmelweit, A. Oppenheim et P. Vince, 1958). D'une façon générale, l'étude des effets des scènes de violence fait ressortir la nécessité d'une interprétation symbolique de ces scènes, la violence dans les mass media ne pouvant être considérée comme une donnée brute dont les effets seraient mécaniques et cumulatifs.

De même, il ne paraît pas possible d'établir que la consommation de mass media favorise la passivité ou l'évasion, pour autant que l'on s'efforce de donner à ces termes un sens précis, comme y invitent les procédures de vérification empirique.

Ces difficultés rencontrées dans l'étude des « effets » ont conduit la recherche à reformuler ses objectifs : plutôt que de s'efforcer d'établir des relations de causalité, mieux vaut étudier les fonctions remplies par les mass media ou, selon une heureuse formule, « l'usage et la gratification » qui leur sont liés. On cherchera, dans cette perspective, à étudier la manière dont le public utilise les moyens de communication de masse, plutôt que les effets sur lui de ces moyens (E. Katz, 1959, W. Schramm, J. Lyle et E. Parker, 1961).

Parmi les fonctions remplies par la culture de masse (escapist material, ou moyens d'évasion), Klapper mentionne : la relaxation mentale et psychologique, la stimulation de l'imagination, la fourniture d'une interaction de substitution et d'un terrain commun pour les échanges sociaux. Par ailleurs, cet auteur fait état de fonctions complexes telles que soulagement émotionnel ou fourniture de conseils pratiques, utilisables dans la vie réelle : on retrouve ici l'opposition, d'origine aristotélicienne, de la catharsis et de la mimèsis, également reprise par Morin (1962), mais comme opposition de deux types de « participation imaginaire » : la projection et l'identification. Ici encore, l'analyse des « effets » débouche donc sur une anthropologie de la communication de masse.

Mass media et société

  Dans les sociétés industrielles

Le système social des mass media, le type de culture dont il est porteur, forment manifestement une partie intégrante de la société industrielle et sont profondément liés à son devenir. De ce fait, le rôle des mass media dans la société industrielle a fait l'objet de nombreuses analyses. On a souvent noté que les moyens de communication de masse fournissent une culture commune aux hommes vivant dans une même société, et même, dans une certaine mesure, à la société industrielle occidentale dans son ensemble. Ils contribueraient ainsi à contrebalancer les forces centrifuges qui se dégagent au fur et à mesure que le développement industriel fait apparaître de nouvelles différenciations culturelles et sociales.

On a souvent lié à la nature « commerciale » des mass media dans la société occidentale leur caractère socialement conservateur. Obligés de viser un public aussi large que possible, ils seraient tenus de ne mécontenter personne, d'éliminer tout ce qui peut être objet de contestation, et donc de verser dans le conformisme le plus absolu. Il semble bien en fait qu'en période de changement social ou culturel les mass media puissent agir non comme un frein, mais, au contraire, comme une sorte de résonateur ou d'amplificateur de mouvements culturels ou sociaux nés en dehors d'eux. La notion de « conservatisme » ne peut donc être appliquée aux mass media qu'avec beaucoup de prudence.

Plus généralement, les mass media et la culture de masse ont été traités non seulement comme une expression caractéristique, mais même comme un symbole de la société occidentale dans son ensemble, et ont fait l'objet de jugements qui s'adressent en fait à elle. Autrement dit, la critique de la société prend souvent aujourd'hui l'aspect d'une critique des mass media, qu'on a pu rendre responsables de la rupture des liens traditionnels, de la création d'un pseudo-environnement, voire d'une pseudo-culture, et surtout de diverses formes de « manipulation », d'« aliénation » ou de « répression » (par exemple, C. W. Mills, 1956 ; H. Marcuse, 1964). Ces critiques ne peuvent être pleinement appréciées que dans le cadre des théories qui les soutiennent. On peut toutefois remarquer que, s'il est hors de doute que les mass media sont aujourd'hui un des instruments du contrôle social (comme l'indique clairement l'existence de rubriques telles que le courrier du cœur des magazines féminins, par exemple), il est difficile d'établir que ce contrôle social est en lui-même plus aliénant ou plus répressif du fait qu'il s'exerce par le canal des mass media plutôt que par les canaux traditionnels.

Parmi de nombreuses analyses du rôle des mass media dans la société industrielle, relevons enfin celle de « l'élite sans pouvoir » (F. Alberoni, 1963). Avec les vedettes, stars ou idoles, les mass media fourniraient à la consommation de masse des objets d'identification qui partageraient tous les privilèges d'une éclatante réussite sociale, sans fournir, à la différence des véritables titulaires de la richesse et du pouvoir, un objet symbolique à l'hostilité des classes ou des groupes sociaux les uns à l'égard des autres.

Dans les sociétés en voie de développement

Divers facteurs rendent difficile la pénétration des moyens de communication de masse dans les pays en voie de développement : au niveau de l'émission, le défaut d'équipement technique et de personnel qualifié ; au niveau de la réception, la faiblesse du pouvoir d'achat, l'analphabétisme, la diversité des types de culture et des niveaux culturels, le caractère essentiellement rural de l'habitat. En tout état de cause, les mass media ne touchent que superficiellement la masse rurale de la plupart des régions en voie de développement. Leur impact est beaucoup plus fort sur les aires en voie d'industrialisation, et davantage encore sur le prolétariat des très grandes villes, dont ils précipitent l'acculturation.

Les régions en voie de développement sont en général caractérisées par une extrême dissociation entre les réseaux de communication de masse et les réseaux traditionnels de la communication. Les mass media diffusent des messages élaborés, au moins en grande partie, dans les sociétés industrielles avancées (Schramm, 1964) ; ils traitent donc de types de problèmes complètement étrangers aux sociétés traditionnelles. De ce fait, ils apparaissent comme un ferment d'acculturation très actif, d'autant que les formes culturelles traditionnelles résistent relativement mal aux formes nouvelles véhiculées par les moyens de communication de masse. D'autre part, les mass media provoquent un intérêt pour des aspects de la vie sociale jusqu'alors totalement ignorés de leur public. De ce fait, ils agissent souvent dans un sens socialement ou même politiquement révolutionnaire ; ce rôle étant activé ou au contraire freiné, selon les cas, par le contrôle politique en général très strict qui s'exerce sur eux.

On retrouve néanmoins dans les sociétés traditionnelles certains traits caractéristiques de l'impact des mass media tels que l'étude des sociétés industrielles les a mis au jour. Ainsi on retrouve des phénomènes analogues à ceux du two-step flow (D. Lerner, 1958). D'autre part, les campagnes de type éducatif, fréquemment entreprises dans les régions en voie de développement par l'intermédiaire des mass media, ne paraissent pouvoir être efficaces que si elles reposent sur une bonne connaissance des réseaux traditionnels de communication, ainsi que des valeurs et des normes traditionnelles (L. W. Pye, 1963).

 

 

 

  Jean Baudrillard - SOCIOLOGIE DE MASSE - Langages de masse - Prise de vue 
 (Encyclopédie Universalis)

 

Les langages de la propagande et de la publicité sont des langages de masse, ils constituent le médium d'une socialisation massive des messages qui naît dans l'avènement simultané, au tournant du XIXe siècle, d'une pratique politique de masse (sous le signe de la Révolution française et du suffrage universel) et d'une production massive (sous le signe de la révolution industrielle). Pourtant, l'une et l'autre, propagande et publicité, n'ont pris respectivement toute leur envergure qu'à partir de la révolution d'Octobre et de la crise mondiale de 1929. Et, du coup, leurs champs respectifs (et leur langage) se sont rapprochés jusqu'à se confondre.

Il est clair que la publicité est née comme facteur de relance et de consolidation du néo-capitalisme, donc d'emblée comme pratique politique. Quant à la propagande, elle se définit dès le début comme un véritable marketing etmerchandizing d'idées-forces, d'hommes politiques et de partis avec leur « image de marque ». De plus en plus, propagande et publicité convergent aujourd'hui dans une stratégie globale des relations humaines, dans un style de communication et de langage. Et c'est dans cette convergence actuelle qu'elles définissent un type de société, la nôtre, où il n'y a plus de différence entre l'économique et le politique, parce que le même langage y règne d'un bout à l'autre, d'une société donc où l'« économie politique », littéralement parlant, est enfin pleinement réalisée. Il y a toujours eu des techniques de diffusion commerciale ou de suggestion politique, mais la publicité et la propagande n'apparaissent vraiment que du jour où le langage vise un public total et devient par là lui-même totalitaire. C'est l'ère des médias.

1. Une structure de la modernité

Fondé dans une première phase sur une psychologie du réflexe conditionné, du martèlement et de l'électrochoc, c'est-à-dire sur une technique mécaniste et métallurgique des relations humaines, ce langage de masse s'oriente aujourd'hui vers une psychologie du contact, du dialogue et du feed-back, c'est-à-dire sur une technique cybernétique de l'information comme système de relations intégrées. Mais, de toute façon, il se définit par une coupure décisive entre une catégorie d'émetteurs et une masse de récepteurs (citoyens ou consommateurs), coupure qui le distingue du transit direct de la parole entre les membres du groupe traditionnel. Avec ce type de langage médiatique apparaît donc une structure caractéristique de la modernité : la division technique et sociale en matière de communication et de messages, qui vient sanctionner et redoubler la division technique et sociale en matière de production de biens matériels. Avec la publicité et la propagande, liées à l'émergence des médias et des supports modernes (presse, cinéma, radio, télévision...), s'installe une régulation collective des signes à sens unique, sans véritable réponse possible (qui répond aux messages de la publicité et de la propagande ? c'est en ce sens que leur langage est « totalitaire »), et cette régulation unilatérale rejoint celle de la production et de la distribution des biens matériels : une véritable économie politique du signe.

2. Un langage opérationnel

Dans l'ordre fonctionnel, ce qui caractérise ce type de langage est la prédominance de ce que Jakobson appelle la « fonction conative » : la visée du destinataire. Ce sont des langages « opérationnels » qui visent à infléchir le comportement du récepteur. Ils ont bien aussi une fonction référentielle : l'une se réfère aux biens de consommation, l'autre à la gestion de la chose publique. Ils prétendent instruire, exposer, dire le vrai - ils se retranchent toujours, souvent pathétiquement et en toute bonne foi, derrière cette valeur d'information et d'objectivité -, mais la référence objective de ce discours, ce dont il parle, disparaît largement derrière le mode sur lequel il parle : mode impératif, mode séductif. Il faut emporter l'adhésion, forcer le consensus et, à la limite - cela est de plus en plus sensible avec l'intensification actuelle des médias -, le contenu n'est plus qu'un alibi de cette fonction de séduction. Le terme allemand, qui désigne l'ensemble de ces pratiques, le dit très bien :werben signifie originellement la sollicitation érotique et amoureuse. La manipulation commerciale ou politique, visant à faire passer tel produit ou telle idéologie, n'est sans doute que le discours manifeste de la publicité et de la propagande. À ce niveau d'ailleurs, leur efficacité est toute relative : la propagande convainc de moins en moins, ses contenus s'annulent en quelque sorte les uns les autres, et la publicité, on commence à s'en apercevoir, ne fait pas vendre (c'est le moindre de ses défauts), mais peu importe, leur stratégie est ailleurs, elle est d'intégration sociale généralisée, de mise en scène de toute relation humaine selon le code qu'elles imposent, de contrôle social généralisé sur le mode injonctif ou séductif, d'abstraction et de spectacle (derrière l'idéologie du contact, du dialogue et de la sollicitude). C'est cette forme, c'est-à-dire non pas du tout tel ou tel contenu, mais une certaine forme, totalitaire, du rapport social que ce langage impose.

3. Au-delà du vrai et du faux
À ce titre, publicité et propagande marquent une phase décisive (peut-être définitive) dans l'histoire de la communication. La rationalité occidentale s'est toujours fondée, en matière de discours, sur le critère du vrai et du faux. Or, ce néo-langage, qui est devenu le langage social dominant (il investit non seulement les champs traditionnels du commerce ou de la politique, mais toutes les sphères de la culture et de la communication sociale), est au-delà, ou en deçà, du vrai et du faux. Il change totalement les fondements traditionnels du vrai et du faux, car il ne vit pas de réalité objective, il vit de code et de modèles ; il ne vit pas de référence ou de vérité, il vit de séduction actuelle, du désir, éphémère et total, du code. Non pas du tout qu'il nous « trompe » : cette objection de mensonge, de bluff et de mystification qu'on fait à la propagande et à la publicité est la plus faible et la plus naïve. Tout autant que l'interrogation complémentaire, véritable serpent de mer des sciences humaines : est-ce que les gens y croient ou n'y croient pas ? Les publicitaires, les propagandistes croient-ils à ce qu'ils disent ? (Ils seraient à moitié pardonnés.) Les consommateurs, les électeurs ne croient-ils pas à ce qu'on leur dit ? (Ils seraient à moitié sauvés.) Mais la question n'est pas là. On a pu dire (D. J. Boorstin, L'Image) que le génie de Barnum, ou de Hitler, fut de découvrir non pas combien il est facile d'abuser le public, mais combien le public aimait être trompé. Ou encore que les problèmes les plus sérieux que pose la publicité viennent moins du manque de scrupules de ceux qui nous trompent que de notre plaisir à être trompés : ils procèdent moins du désir de séduire que du désir d'être séduit. Hypothèse séduisante, mais qui ne va pas au fond : il n'y a pas, à ce niveau de langage, de manipulation du vrai et du faux, pour la raison qu'il efface, ou déplace radicalement, les conditions mêmes du vrai et du faux.
La publicité, par exemple, fait des objets des événements, mais elle les construit comme tels sur la base de l'élimination de leurs caractéristiques objectives. Elle les construit comme fait divers spectaculaire, comme mythe, comme modèle. Les médias font de même avec les événements « historiques » : ils les construisent comme modèles. Éventuellement, ils les construisent de toutes pièces comme modèles de simulation, et la propagande en fait de même avec les idées et les concepts de la pratique sociale et politique. « La publicité moderne vit le jour lorsqu'une réclame ne fut plus une annonce spontanée, mais devint une nouvelle fabriquée » (Boorstin). Ces modèles ne sont pas faux : ils ont leur logique et leur cohérence, mais qui ne leur vient plus d'une quelconque réalité - elle leur vient de leur propre code, devenu principe de réalité - et la séduction profonde de ces langages vient sans doute de cette hypercohérence d'un code, d'un traitement mythique et structural où la séduction peut enfin s'exercer librement, où le désir peut enfin s'accomplir sans contrainte de réalité. (La simulation est aussi à la base de toute la cybernétique et de la recherche opérationnelle, et on sait quelle puissance sociale de contrôle celles-ci constituent aujourd'hui.) Publicitaires et propagandistes sont ainsi des opérateurs mythiques, mais non pas des menteurs. Ce qui est plus grave en quelque sorte, car, s'ils ne faisaient que mentir, ils seraient faciles à démasquer. Alors que tout leur art consiste en l'invention d'exposés persuasifs qui ne soient ni vrais ni faux.
Par là, leur langage relève de toute une mutation historique et sociale qui s'accomplit sous la logique du signe. La communication de masse est au-delà du vrai et du faux, comme la mode est au-delà du beau et du laid, comme la « raison » politique est au-delà du bien et du mal, comme les objets actuels sont au-delà de l'utile et de l'inutile. Tous les grands critères humanistes de la valeur, ceux de toute une civilisation du jugement, moral, esthétique, pratique, s'effacent dans notre système d'images et de signes.
Si ce langage de la séduction opérationnelle est un discours mythique, on peut se demander où est le principe de son efficacité réelle : c'est celle de la parole prophétique, de la selffulfilling prophecy : « Le publicitaire est le maître d'un art nouveau : l'art de rendre les choses vraies en affirmant qu'elles le sont. C'est un adepte de la technique des prophéties s'accomplissant elles-mêmes. » Si donc ce langage a sa « vérité », c'est d'un tout autre type de vérification qu'elle relève. La publicité ne suppose pas de réalité préalable, pas même celle d'un objet, mais une confirmation ultérieure, par la réalité du signe qu'elle émet. Elle fait de l'objet un pseudo-événement qui va devenir l'événement réel de la vie quotidienne à travers l'adhésion du consommateur à son discours. La vérification de son discours est celle du consensus qu'il provoque et son échéance est celle même de son déchiffrage : définition parfaite du signe magique, toute-puissance de l'artefact du signe sur l'échéance du monde. Ainsi des sondages où se lit le visage le plus moderne de la propagande : impossible de savoir s'ils reflètent une opinion publique ou si le vote réel n'est que le dernier des sondages - mais alors il n'est plus un événement réel, il n'est plus qu'à l'image du modèle de simulation anticipée.

4. Logique interne de ce néo-langage

À ce déplacement du vrai et du faux, à cette inversion du référentiel et du code correspond un tout autre appareillage du discours que dans la logique traditionnelle.

Tautologie
L'articulation logique est remplacée par la tautologie : « Omo, ça, c'est de la lessive » ; « La majorité, c'est vous », etc. Ce schème général culmine dans la pure et simple incantation de la marque publicitaire ou du slogan politique. Tous les signes se ramènent à un seul signe qui s'égale à lui-même : la marque ou le slogan. C'est sur ce signe imposé, inlassablement redoublé en lui-même, que vient s'indexer ce discours, au contraire du discours logique ouvert. Et c'est cette tautologie secrète, même si elle s'enveloppe de significations et de figures rhétoriques très riches, qui fait sa causalité efficace et sa vraisemblance. C'est cette répétition interne qui induit la répétition « magique » du discours dans l'événement.

Paralogie du détail

La publicité est un discours total sur des détails, des différences marginales, des vérités partielles réifiées en totalité. C'est la litanie de l'allume-cigare, la rhétorique de l'accessoire. En propagande aussi, la technique consiste à orchestrer tel détail, tel aspect sélectif de la réalité, jusqu'à saturation du champ idéologique. (La propagande raciste est l'exaltation dirigée d'un, et d'un seul, caractère différentiel, la race ou le sang, pour en faire une idéologie totale.) Là aussi, la logique du tout et de la partie se substitue à celle du vrai et du faux. La logique du déplacement et de la substitution prend la place de l'articulation dialectique.

Paradoxe de la conjonction des incompatibles, de l'identité des contradictoires
« À 140 km/h, on roule plus vite en Renault 16. » « Trois rasoirs en un seul : quand Philips surpasse Philips. » « Vivre dès aujourd'hui en l'an 2000. » « Invisiblement habillée. »
Ce principe de synthèse magique, corollaire de celui de tautologie, se révèle en politique comme le langage même du terrorisme et de la dissuasion : c'est le fameux Peace is war, war is peace de George Orwell (1984), ou encore « bombe propre », les retombées « inoffensives » et, encore une fois, « La majorité, c'est vous ». Langage hypnotique qui ne connaît plus la contradiction ni la négativité et rejoint ainsi ce que Freud décrit comme processus primaire : « Des pensées contradictoires non seulement ne se distinguent pas, mais encore se juxtaposent, se condensent et forment un compromis que nous n'admettrions jamais dans la pensée normale » (L'Interprétation des rêves).
On retrouve ce paradoxe jusque dans le retournement magique de l'« antipublicité », qui ne fait que mimer la distance critique

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