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lundi, 03 mai 2010

Le plan de commnication de J.Kerviel

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Le plan de communication de Jérôme Kerviel est parfaitement rôdé. La démarche est simple: sortie d'un livre, interviews multiples et journalistes consentants pour mieux amener l'opinion publique à adhérer à sa cause. L'avocat général Philippe Bilger s'est irrité  des interventions médiatiques récentes de Jérôme Kerviel, l’ex-trader accusé d’avoir fait perdre à la Société Générale 5 milliards d’euros, alors que le procès de celui-ci doit se tenir dans un mois. Le magistrat y voit une tentative de pression sur le tribunal. S'y révèle surtout la trace de la communication, laquelle étend chaque jour un peu plus son emprise sur les journalistes et, à travers eux,  sur l’information.


Quand la communication investit le terrain judiciaire

Car Jérôme Kerviel a un conseil en communication, eh oui ! C’est un peu nouveau en France, la communication en matière judiciaire, qui plus est dans une affaire pénale. Les grandes agences ne sont pas très à l’aise sur ce terrain, de sorte que la parole est souvent réservée aux avocats qui, à défaut de connaître le fonctionnement des médias, maîtrisent le discours et surtout la stratégie judiciaire. Nous sommes habitués à les voir sur les marches du palais à l’issue de l’audience distiller quelques informations aux journalistes, plaidant ainsi le dossier auprès du public après l’avoir défendu devant les juges. On ne sait trop d’ailleurs s’ils servent la cause de leur client ou leur propre réputation. La tentation de la caméra est si forte….On doit toutefois à la vérité de souligner que tous les avocats ne se donnent pas ainsi en spectacle et que ce ne sont pas forcément les plus “vu à la télé” qui sont  les meilleurs. Je connais ainsi bien des professionnels discrets qui pour rien au monde n’accepteraient de parler à la presse. “C’est toujours dangereux, disent-ils, les juges n’apprécient guère, nous avons tout à y perdre et presque rien à gagner. Un procès, ça se plaide devant un tribunal parce que c’est le tribunal qui décide, pas le public, ni les journalistes”. Mais pour d’autres, il est évident au contraire que dans une société hyper-médiatisée comme la nôtre, plaider devant les juges ne suffit pas. Puisque le procès se déroule dans la presse, il faut accepter de descendre dans l’arène médiatique et se battre aussi sur le terrain de l’opinion publique.  Ils n’ont pas tout à fait tort.

 

Info ou intox?

Le problème, c’est que les relations presse, c’est un métier.  Tout le monde ne sait pas forcément gérer les demandes des journalistes. En outre, l’activité peut devenir très chronophage dès lors que l’affaire est importante. Kerviel par exemple  est assailli depuis le début du scandale par des journalistes du monde entier.  D’où la nécessité de faire appel à un spécialiste pour définir une véritable stratégie médiatique. Cela fait ainsi des mois que le trader rencontre régulièrement mes confrères pour leur expliquer les aspects de technique financière du dossier en off, tandis que ses conseils traitent des questions juridiques, en off également. On le les autorise pas à publier quoique ce soit, il s’agit simplement de les informer pour plus tard. Ou de les intoxiquer, question de point de vue. Le terrain ayant été soigneusement préparé, la communication soudain devient officielle. Mais là encore, tout est  orchestré avec méticulosité. Le conseil en communication  choisit le support (TV, radio, presse quotidienne, presse magazine) et le journaliste, opérant ainsi un renversement complet des rôles. La communication a pris le pouvoir.

 

Le journaliste ? Un pion dans la stratégie judiciaire

Tout a été pensé : la sortie du livre quelques semaines avant le procès, sa médiatisation, quelques jours avant la parution.  Le pari est osé car la démarche peut aisément être perçue comme une tentative de pression sur les juges. Toutefois, quand on connait les conseils du trader, on se dit que le risque a dû être bien calculé. Il faut dire, à la décharge de Kerviel, que son adversaire n’est pas tant le ministère public dans cette affaire que notre mastodonte bancaire national, à savoir la Société Générale. Soit Kerviel est condamné et l’histoire retiendra que la banque a été victime d’un voyou, soit on découvre au cours du procès que la hiérarchie connaissait ses activités et fermait les yeux tant qu’il rapportait de l’argent. Dans ce-dernier cas, la banque devra s’expliquer et c’est le système tout entier qui se retrouvera sur le banc des accusés. Le pot de terre contre le pot de fer en quelque sorte. Comment lui en vouloir d’utiliser toutes les armes à sa disposition, y compris la plus puissante de toutes, à savoir les médias ?

 

Une interview si bien préparée…

Ceux qui ont écouté Kerviel hier au Journal de 20 heures auront certainement remarqué l’habileté de ses réponses. Oui, il reconnait avoir eu tort, mais il voudrait ne pas être le seul à prendre ses responsabilités. Oui, il a confiance en la justice et non il n’entend pas l’influencer en s’exprimant dans les médias avant son procès. S’il publie un livre, ce n’est pas pour dévoiler sa défense, mais pour révéler les dessous du système qui l’a absorbé dans sa furie et poussé à la faute. Comment ne pas reconnaître les ficelles traditionnelles de la communication de crise ? Avouer son erreur, se positionner en victime, faire allégeance respectueusement à la justice. Un modèle du genre…  La parole publique est devenue entièrement factice. Ce ne sont plus les journalistes qui décident qui ils vont interviewer, quand et pourquoi, mais des spécialistes de la communication qui les déplacent comme des pions sur un échiquier et leur servent une information formatée. Vous voyez, c’est parce que j’observe cela au quotidien que je m’abstiens de dénoncer trop vite et trop fort le journalisme d’immersion pratiqué par Florence Aubenas ou par les Infiltrés. Bien sûr que les journalistes qui se font manipuler ainsi, moi comprise, vous livrent de l’information. Ils remplissent leur contrat, le patron du journal est content, il a une interview exclusive de Kerviel, le rédacteur en chef est satisfait, il a rempli ses colonnes, le journaliste est fier d’avoir grillé ses confrères, le lecteur quant à lui a l’impression d’en avoir pour son argent, ou presque. Il n’empêche, ce jeu de dupes laisse parfois un goût amer et donne envie d’explorer d’autres voies journalistiques, plus risquées, certes, mais aussi plus efficaces, comme le journalisme d'immersion.

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