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dimanche, 04 juillet 2010

César Birotteau (Balzac) - 1837

L'impatient Gaudissart prit le manuscrit et lut à haute- voix et avec emphase : HUILE CÉPHALIQUE !
– J'aimerais mieux Huile Césarienne, dit Popinot.

– Mon ami, dit Gaudissart, tu ne connais pas  tes gens de province, Il y a une opération chirurgicale qui porte ce nom-là, et ils sont si bêtes qu'ils  croiraient ton huile propre à faciliter les accouchements. De là pour les ramener aux cheveux, il y aurait trop de tirage.

– Sans vouloir défendre mon mot, dit l'auteur,  je vous ferai observer que Huile Céphalique veut  dire huile pour la tête et résume vos idées.  

-Voyons dit Popinot impatient.

Voici le prospectus tel que le commerce le reçoit par milliers encore aujourd'hui. (Autre pièce justificative.)


MÉDAILLE D’OR A L’EXPOSITION DE 1819

HUILE CÉPHALIQUE

BREVET D’INVENTION ET DE PERFECTIONNEMENT.

 

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César Birotteau incarné par un acteur


Nul cosmétique ne peut faire croître les cheveux, de même que nulle préparation chimique ne les teint sans danger pour le siège de l'intelligence. La science a déclaré récemment que les cheveux étaient une substance morte, et que nul agent ne peut, les empêcher de tomber ni de blanchir. Pour prévenir la Xérasie et la Calvitie, il suffit de préserver la bulbe  d'où, ils sortent, de toute influence extérieure atmosphérique, et de maintenir à la tête la chaleur qui lui est propre, l'huile céphalique basée sur ces principes établis par l'Académie des sciences produit cet important résultat auquel se tenaient les anciens, les Romains, les Grecs et les nations au Nord auxquelles la chevelure était précieuse. Des recherches savantes ont démontré que les nobles qui  se distinguaient autrefois à la longueur de leurs cheveux, n'employaient pas d'autre moyen ; seulement leur procédé, habilement retrouvé par A. Popinot, inventeur de l’huile Céphalique avait été perdu.  Conserver au lieu de chercher « provoquer une  stimulation impossible ou nuisible sur le derme qui  contient les bulbes telle est donc la destination de l’huile céphalique. En effet, cette huile, qui s'oppose à l’exfoliation des pellicules, qui exhale une  odeur suave et qui par les substances dont elle est composée, dans lesquelles entre comme principal élément l’essence de noisette, empêche toute action de l'air extérieur sur les têtes, prévient ainsi les rhumes le coryza et toutes les affections douloureuses de l'encéphale en lui laissant sa température intérieure. De cette manière, les bulbes qui contiennent les liqueurs génératrices des cheveux ne sont  jamais saisies ni par le froid, ni par le chaud.  La chevelure, ce produit magnifique à laquelle  hommes et femmes attachent tant de prix conserve  alors jusque dans l’âge avancé de la personne qui  se sert de l’'huile céphalique ce brillant cette finesse ce lustre qui rendent si charmantes les têtes  des enfants.  LA MANIÈRE DE S'EN SERVIR Ci-jointe à chaque flacon et lui sert d'enveloppe :

 

MANIÈRE DE SE SERVIR DE L’HUILE CÉPHALIQUE.


Il est tout à fait inutile d'oindre les cheveux ; ce  n'est pas seulement un préjugé ridicule, mais encore une habitude gênante, en ce sens que le cosmétique laisse partout sa trace. Il suffit tous les matins de tremper une petite éponge fine dans l'huile,  de se faire écarter les cheveux avec le peigne, d'imbiber les cheveux à leur racine de raie en raie, de manière à ce que la peau reçoive une légère couche, après avoir préalablement nettoyé la tête avec la  brosse et le peigne.  Cette huile se vend par flacon, portant la signature de l’ inventeur pour empêcher toute contrefaçon,  et du prix de TROIS francs, chez A. POPINOT, rue  des Cinq-Diamants, quartier des Lombards, à Paris.  ON EST PRIÉ D'ÉCRIRE FRANCO.

Nota. La maison A. Popinot tient également les huiles de  la droguerie, comme néroli, huile d'aspic, huile d'amande  douce, huile de cacao, huile de café, de ricin et autres.


- Mon cher ami, dit l’illustre Gaudissart à Finot, c'est parfaitement écrit. Saquerrlotte, comme nous abordons la haute science !  nous ne tortillons  pas, nous allons droit au fait. Ah! je vous fais mes sincères compliments, voilà de la littérature utile
–Le beau prospectus! dit Popinot enthousiasmé.

- Un prospectus dont le premier mot tue Macassar, dit Gaudissart en se levant d’un air magistral pour prononcer les paroles suivantes qu’il scanda par des gestes parlementaires : « On– ne– ne fait pas– pousser les cheveux!  On-ne les-teint pas-sans danger! »  Ah ah ! Là est le succès. La science moderne est  d'accord avec les habitudes des anciens. On peut s'entendre avec les vieux et avec les jeunes. Vous  avez affaire à un vieillard. « Ah! ah! monsieur, les Anciens, les Grecs, les Romains avaient raison et ne  sont pas aussi bêtes qu'on veut le faire croire ! »  Vous traitez avec un jeune homme : « Mon cher garçon, encore une découverte due au progrès des lumières, nous progressons. Que ne doit-on pas attendre de la vapeur, des télégraphes et autres ! Cette huile est le résultat d’un rapport de monsieur Vauquelin à l’Académie des sciences, confirmant nos assertions, hein! Fameux !  Allons Finot, à table ! Chiquons[1] les légumes! Sablons le Champagne au succès de notre jeune ami

-J'ai pensé, dit l'auteur modestement, que l'époque du prospectus léger et badin était passée; nous entrons dans la période de la science, il faut  un air doctoral, un ton d'autorité pour s'imposer  au public.


Balzac – César Birotteau -

 


[1] mâchons

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