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mardi, 25 janvier 2011

Qui a peur de Virginia Woolf (2)

qui-a-peur-de-virginia-woolf-franck-perrogon-01.jpgL'un des huis clos les plus féroces du répertoire théâtral contemporain, Qui a peur de Virginia Woolf, dans une nouvelle traduction de Daniel Loayza, est mis en scène par Dominique Pitoiset, qui en est également l'interprète aux côtés de Nadia Fabrizzio.

 

Quatre personnages y partagent la scène, deux couples de deux générations différentes.  Sur le campus universitaire de la Nouvelle Carthage, un samedi soir. Les enseignants et leurs épouses sont invités comme chaque semaine chez le président de l’Université, le père de Martha, pour y faire la connaissance des nouveaux venus.

 

Quand Martha et son mari George rentrent chez eux à deux heures du matin, ils sont saouls et épuisés, mais Martha annonce à George qu’elle a invité  un jeune enseignant et sa femme, nouveaux sur le campus. Lorsque Nick et Honey arrivent, ils sont entraînés dans des jeux et des règlements de compte, dont ils ne se contentent pas d’être les arbitres, mais des joueurs à part entière, malgré eux, sans connaître les règles complexes et mouvantes fixées par George et Martha.

 

C’est le début d’une guerre des mots où tout est permis. Au cœur de cette guerre, il y a l’allusion au fils de George et Martha, qui doit rentrer le lendemain pour son anniversaire, et que les deux personnages utilisent comme arme l’un contre l’autre. Mais il est aussi question des parcours de vie de ces deux couples que tout oppose, et des spécialités respectives de George et Nick, l’Histoire et la Biologie. C’est d’abord George qui fait les frais des attaques, humilié par Martha qui décrit son incapacité à reprendre la direction de l’Université et son manque de virilité, puis c’est contre les invités que la violence se retourne, quand George raconte l’histoire d’un jeune couple arriviste et sans amour ressemblant trait pour trait à Nick et Honey.

 

Quand George annonce à Martha que leur fils a été tué et qu’il ne rentrera pas, on comprend avec les invités que ce fils n’était qu’une invention une illusion construite tout au long de leur vie commune par les deux personnages, et dont ils doivent à présent se passer. Les masques tombent et chacun va se coucher au petit matin, seul avec ses peurs.

 

La guerre ? Oui, on dirait la guerre, celle qui n’en finit pas de revenir, sous toutes ses formes : guerre des sexes, des générations, des clans, des savoirs ; guerre aussi entre soi et soi-même. Une guerre aux mille facettes, ou mille lignes de front qui s’enchevêtrent, mille stratégies mouvantes, mille et une ruses tactiques qui ne cessent de transformer l’aspect du terrain.

Une question d’humanité : À chacun de s’y reconnaître comme il pourra, d’être sensible à tel ou tel enjeu. L’essentiel, c’est que cette guerre soit ressentie comme étant la nôtre, et donc comme actuelle, encore et toujours.

Comment faire pour que la pièce, jouée en 2009, n’apparaisse pas comme une pièce historique, sans plus ? Edward Albee lui-même semble s’être posé la question. En 2005, à l’occasion d’une reprise à Broadway, il a en effet retouché en ce sens son texte sur certains points (les allusions à un avortement de Honey ont été fortement atténuées : de fait, depuis la décision de la Cour Suprême américaine dans le cas Roe vs Wade en 1973 qui a décriminalisé l’interruption de grossesse, le choix de Honey ne porte plus la même charge de scandale).

Comment faire, donc, pour que le public d’aujourd’hui accède à la profonde actualité de l’œuvre? En jouant le texte dans un décor qui se fasse oublier – lumière nocturne, grand canapé, bouteilles – et en le jouant dans tout son tranchant, dans une traduction nouvelle, scrupuleusement fidèle, de sa version la plus récente. À titre personnel, et peut-être parce que je vais me charger de ce rôle-là, je suis particulièrement sensible à la lutte qui oppose George, l’homme des lettres et du «passé» (qui se rêve plus ou moins consciemment en père de son jeune hôte), à Nick, l’homme des sciences et de l’«avenir» (qui tient fugacement lieu de fils imaginaire de son aîné).

C’est-à-dire au conflit entre ceux qui n’ont pas su ou voulu se mesurer au pouvoir et ceux qui trouvent tout naturel d’être ambitieux et de réussir à tout prix. Car il me semble que cette bataille-là fait rage aujourd’hui. Mais les autres ne sont pas moins importantes. Et si je parvenais à faire éprouver, l’espèce de paix désespérée qui demeure, par-delà le fracas de toutes les armes, comme l’ultime secret unissant George et Martha – si je parvenais à faire entendre comment ils parviennent à se tendre la main et à se toucher à travers toutes les ruines, j’aurais vraiment atteint mon but.

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