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dimanche, 18 juillet 2010

Hausmann & le photomontage

Peintre, théoricien, sculpteur, écrivain, Raoul Hausmann (1886-1971) se revendique l’inventeur, avec Hannah Höch, du photomontage. Cette découverte remonterait à un séjour dans la Baltique où ils auraient constaté que, dans chaque famille d’un petit village nommé Heidebrink, « se trouvait accrochée au mur une lithographie en couleurs représentant sur fond de caserne l’image d’un grenadier. Pour rendre ce mémento militaire plus personnel, on avait collé à la place de la tête un portrait photographique du soldat. Ce fut comme un éclair, on pourrait, je le vis instantanément, faire des tableaux entièrement composés de photos découpées ».

Si le collage cubiste a permis une avancée nouvelle dans l’investigation de l’espace, le photomontage permet à Hausmann d’analyser l’image et son fonctionnement. « J’adoptais avec la découverte du photomontage une attitude supra-réaliste, qui permet de travailler avec une perspective à plusieurs centres et de superposer des objets et des surfaces », écrit-il dans son texte Cinéma synthétique de la peinture. Une telle liberté permet à l’artiste d’obtenir des images complexes mêlant l’élément visuel, les lettres, les mots, réunissant souvent le monde organique, l’émotionnel et le mécanique.

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Raoul Hausmann, ABCD, 1923-1924 Encre de Chine, reproduction de photographie et imprimés découpés, collés sur papier

Surnommé le Dadasophe, Raoul Hausmann est l’un des principaux « photomonteurs » de la capitale allemande. Réalisés à partir des découpes de photographies tirées de journaux, combinées aux éléments typographiques de coupures ou de manchettes de presse, les photomontages jouent sur l’effet dynamique de leur composition, où les notions de plan, d’échelle sont constamment remises en cause, et sur l’impact des lettres et des mots disséminés dans l’œuvre comme des slogans, des cris ou des ordres. A l’enseigne non pas du beau tableau, mais du manifeste plastique, qui se veut polémique et percutant dans une société allemande bourgeoise et militariste que les dadaïstes allemands combattent, ces tableaux, faits entièrement de photos découpées et de lettres, sont de véritables cris. Récusant l’idée traditionnelle d’artiste pour se nommer « monteurs de photos », certains d’entre eux (Heartfield et Grosz) se placent à côté des travailleurs et des monteurs prolétaires des usines.

 

Réalisé vers 1923, quand Dada-Berlin n’existe plus, ABCD est le dernier photomontage dadaïste d’Hausmann. Néanmoins l’artiste restera fidèle à ce procédé, fondé sur la déconstruction et la recomposition des différentes sources de l’image, jusqu’aux années soixante.
Plus encore que dans tous ses autres photomontages, l’image est ici disloquée et sa perception constamment entravée par des ruptures de plans suggérant des sens contradictoires. Le motif central, son autoportrait photographique, tient comme serrées entre les dents les quatre lettres du début de l’alphabet. La langue que, déjà dans ses poèmes-affiches et dans ses poèmes phonétiques, Hausmann a détruite, hachée et privée de son sens, s’imposant par son impact visuel, joue avec l’image et les dessins.

Autour de l’autoportrait, des papiers découpés dans des manuels médicaux, des éléments typographiques à chaque fois différents, des billets de banque tchèques, des allusions à une action Merz, réalisée aux côtés de Schwitters à Hanovre en décembre 1923 où il donna lecture de ses poèmes phonétiques, s’organisent selon plusieurs axes de composition. Mais de cette image, malgré le mot voce (voix en italien), aucun sens cohérent de lecture ne se dégage. Ce qui est à voir et ce qui est à lire ont la même importance dans ce photomontage où la notion de fond et de profondeur s’abolissent. Chaque motif se jouant à la surface de l’œuvre, dans l’immédiateté de l’ici et maintenant. Manifeste de l’esthétique du non-art, cri lancé en même temps à l’œil et à l’oreille du spectateur, ce montage où rien ne semble tenir en place proclame contre tout académisme l’insondable mouvement de la vie.

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