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vendredi, 26 mars 2010

Axiome 5

« Tout échange de communication est symétrique ou complémentaire, selon qu'il se fonde sur l'égalité ou la différence » (Axiome n°5 de Paul Watzlwick).

 

C’est un éloge de la modeste. Revenons un instant à notre problème de départ, comment convaincre un interlocuteur?

La situation serait évidemment idéale si on se trouvait dans la même position que le professeur face à une classe désireuse d’apprendre. Nous serions alors dans un rapport complémentaire basé sur la différence entre le professeur, en position haute, et les élèves en position basse.  Admettons bien vite que cette situation est très exceptionnelle et qu’elle se rencontre même assez rarement dans la vie courante.


Fragilité de la position haute.

Dans la réalité, cette place qui passe pour idyllique est en fait extrêmement fragile. C’est ce que montre Jacques Antoine MALAREWIC[1]: « Dans une interaction, la position haute est celle de celui qui montre la volonté de manifester clairement sa supériorité sur l’autre. Celui qui se met, ou qui est mis en position haute est amené à démontrer qu’il a raison, qu’il comprend mieux, qu’il explique mieux, bref..., qu’il est le plus fort. C’est par là même, toujours dans le contexte de la communication, la position la plus fragile. »

Comme le dit le proverbe « Plus vite le singe monte à l’arbre, plus vite il montre ses fesses ».

Jacques Antoine MALAREWICS insiste fortement sur l’inconfort de cette position haute. On y subit d’incessantes attaques et on doit démontrer en permanence son talent. Alors qu’on sera inévitablement entrainé sur des terrains où évidemment on ne sera pas le plus fort. Car l’être omniscient n’est encore qu’un mythe de la science fiction.

La fin des destinées en position haute, c’est bien souvent la chute.

Les exemples ne manquent pas. Il est inutile de nous attarder sur le cas -typique- de Napoléon, mais prenons simplement les présidents de la Vème république :  Charles De Gaulle est battu au référendum de 1969 sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Il se retire en terre Irlandaise. Georges Pompidou laisse l’image d’un président provincial qui n’a pas vu venir la crise pétrolière de 1973. Le consensus se fait en France à sa mort sur l’urgence de réformer.  Valéry Giscard d’Estaing, restera longtemps « l’ami de Jean bedel Bokassa », le tyran africain. François Mitterrand quitte la pouvoir rongé par “les affaires”.

Bien sûr, l’histoire nuance à posteriori son jugement. Mais l’image finale que laissent ces Présidents reste très en deçà de l’image d’espoir d’avant leur élection.


Les avantages de la position basse.

Dans sa « carte du voyageur perdu »,  Malarewics conseille donc de se rapprocher -autant que possible- de la position basse.

C’est « celle de celui qui ne cherche pas à démontrer sa supériorité sur l’autre.  Au contraire, dans cette position, il accepte de se placer en retrait avec une certaine modestie, voire de l’humilité. »

Le plus bel exemple qu’on puisse citer est celui de Jésus Christ. Il ne revendiquera jamais la première place, celle du père. Il se contente de la seconde, celle du fils. Toute sa vie il cherche une place encore plus humble que celle des plus humbles: il lave les pieds des mendiants. Il perd son procès et meurt sur la croix après le calvaire. Sa renommée dans les siècles suivants n’aura évidemment rien de comparable avec celle de son bourreau.

Dans un registre très différent, Raymond Poulidor, souvent second dans les courses cyclistes, reste toujours premier dans le cœur des amateurs, 25 ans après sa dernière course. Sa modeste bonhomie tient encore la route sur les écrans publicitaires alors que la plupart des grands coureurs sont rangés au rayon des souvenirs.

Pierre Mendes-France, lui, a toujours refusé de revendiquer la première place après sa première expérience de Président du Conseil sous la IVème République, espérant modestement qu’on le rappelle aux affaires. Il n’en sera rien mais sa figure ne sera pas écornée au contraire de ses concurrents.

Balladur bénéficiera d’une popularité exceptionnelle lorsqu’il sera premier ministre et reconnaîtra la légitimité de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle. Mais lorsqu’il aspirera à la première place, il vacillera.  Ces exemples soulignent la redoutable efficacité de la position basse. Tout se passe, en effet, comme si le communicateur placé en position basse disposait d’un amplificateur alors qu’en position haute, il était invariablement soupçonné de mensonge.

Mais la situation que nous avons observée est relativement simple : c’est celle d’un communicateur face à son public.

La situation peut se compliquer et dans certains cas la position basse peut déboucher sur une difficulté. L’exemple de Balladur, et il y en aurait beaucoup d’autres, amène une question. A un moment donné cette position basse risque d’apparaître comme un piège.  Vient un moment où il est compréhensible de sortir du bois et de revendiquer la première place, même si on voit bien l’intérêt de garder cette position basse le plus longtemps possible.  Il est difficile d’admettre que toute ambition serait illégitime. Ce serait renoncer par avance à défendre ses intérêts, voire ses idées ou ses projets. Il est des moments où il faut bien sortir de la nasse.

Inévitablement on entre dans un cadre plus conflictuel. C’est alors ce que Paul WATZLAWICK appelle un échange « symétrique ».

Ici, il est peut-être nécessaire de préciser le vocabulaire. Pour cela, on se reportera très simplement au texte de Jacques-Antoine MALAREWICS : « De la même façon que les deux plateaux d'une balance peuvent illustrer les positions  haute et basse, l'image de deux chaises placées l'une en face de l'autre montre la symétrie alors que placées côte à côte, ces chaises manifestent la complémentarité ».

La position symétrique est une position de rivalité alors que la position complémentaire correspond davantage à une position amicale, voire à une coopération en vue d'un but commun.

Une attitude délibérément symétrique pourrait être assimilée à de la provocation, tandis qu'une attitude complémentaire se rapprocherait davantage d'un jeu de séduction.

On aura vite compris l'intérêt d'un comportement complémentaire en terme d'efficacité pour convaincre. Mais c'est une attitude difficile à tenir.

Jacques-Antoine MALAREWICS propose trois techniques classiques pour rendre complémentaire une relation symétrique. Mais nous en rajouterons une quatrième, la « technique du pied dans la porte ».

La séduction.

La triangulation: l'introduction d'un tiers permet de changer les conditions d'une relation et de l'aborder ainsi très différemment.

La métacomunication : C'est en quelque sorte l'introduction d'un commentaire sur le discours. Or celui qui commente se met dans une position supérieure.

La technique du pied dans la porte : De nombreuses expériences ont permis de démontrer qu'on obtenait plus facilement l'engagement d'une personne, si auparavant on avait réussi à obtenir d'elle un accord sur un objet sans conséquence. « C'est à Palo Alto en Californie, que Freedman et Fraser (1966) réalisèrent les premières démonstrations expérimentales de l'effet de pied dans la porte. Ces démonstrations ont d'autant plus d'intérêt qu'elles furent menées sur le terrain auprès d'authentiques ménagères. Dans une première expérience les chercheurs avaient pour projet d'inciter des ménagères à recevoir chez elles, soi-disant dans le cadre d'une enquête portant sur les habitudes de consommation des familles américaines, une équipe de cinq ou six hommes après les avoir averties, d'abord que l'enquête était relativement longue (deux heures environ), ensuite que les enquêteurs devaient avoir toute liberté pour fouiller dans la maison afin d'établir la liste complète des produits de consommation courante s'y trouvant. Il s'agissait donc là d'une requête difficilement recevable et, de fait, peu de ménagères s'y soumirent spontanément (22,2% seulement) lorsqu'on leur proposa directement  de participer à cette enquête. Le recours à la technique du pied dans la porte allait permettre à Freedman et Fraser de doubler le nombre de ménagères qui acceptèrent qu'une telle enquête fut conduite chez elles. 

La méthode utilisée par ces auteurs consista à amener dans un premier temps les ménagères à participer à une courte enquête téléphonique (répondre à huit questions sur leurs habitudes de consommation)? Cet acte peu coûteux obtenu, il leur suffisait alors de téléphoner à ces mêmes ménagères quelques jours plus tard (trois jours plus tard dans cette expérience) pour leur demander cette fois d'accepter de recevoir chez elles l'équipe d'enquêteurs. En procédant ainsi, c'est à dire en faisant précéder la requête finale coûteuse par une requête initiale peu coûteuse (mais concernant le même type de comportements: participation à une enquête sur les habitudes de consommation), Freedman et Fraser parvinrent à obtenir un taux d'acceptation de 52,8%. De 22,2% à 52,8%, le gain n'est pas négligeable.[2] Ces chercheurs amenèrent même 76% des ménagères sollicitées à accepter la pose dans leur jardin d'un panneau publicitaire inesthétique pour la sécurité routière après les avoir convaincu simplement dans un premier temps d'apposer un autocollant pour le même sujet sur leur voiture. Or le taux d'acceptation du panneau publicitaire ne fut que de 16,7% chez les ménagères à qui on n'avait pas proposé de placer préalablement l'autocollant. »



[1] Guide du voyageur perdu dans le dédale des relations humaines”, de Jacques Antoine MALAREWICS, collection Communication et Complexité, Editions ESF, 1992 ( pages 63 & 64).

[2] petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens - RV JOULE et JL BEAUVOIS - Collection Vies sociales aux presses universitaires de Grenoble  (octobre 1997)

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