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vendredi, 26 mars 2010

Axiome 3

 « La nature d'une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires »

(Axiome n°3 de Paul Watzlawick).


De quoi parle-t-on lorsqu'on fait appel à la notion de « ponctuation des séquences » ? 

Ce concept signifie que les interlocuteurs trouvent la manière de relancer les échanges pour que ceux-ci se prolongent harmonieusement. Une relation, autrement dit,  ça se cultive comme un jardin!

Une bonne ponctuation des séquences aura donc tendance à maintenir une continuité dans les échanges entre les partenaires. Les mauvaises ponctuations de séquences conduisent à l'interruption des échanges.

Mais le concept de « ponctuation des séquences » fait également référence à la manière dont les partenaires abordent la relation. Ici trois situations sont possibles dont une est insupportable:

Confirmation
Les échanges avec autrui me confirment dans ce que je crois positif ou dans ce que j'aime de ma personnalité. J'ai le sentiment heureux d'exister.

Opposition
Les échanges avec autrui me révèlent en position de désaccord radical, mais ce désaccord n'implique aucun déni de mon existence - au contraire. Je ne suis pas d'accord avec les autres, mais les autres reconnaissent mon existence.

Non-identité (néantisation ou négation)

Dans mes échanges avec autrui, on ne tient pas compte de mon point de vue, on parle pour moi, on répond pour moi. Je n'existe plus. La névrose est proche."

La pire des choses, c’est l’abandon: le sentiment que je n’existe plus.

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Axiome 2

« Toute communication présente deux aspects: le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier et par suite est une métacommunication  (Axiome n°2 de Paul Watzlawick). »


Contrairement aux apparences, ce n’est donc pas l’auteur du message qui fait seul le mode d’emploi. Toute une série d’intervenants et d’éléments extérieurs y prennent leur part.

Dans cet axiome, le mot contenu désigne ce que l’on veut dire, et le mot relation la manière de le dire. Une communication ne se borne pas à la transmission d’une information (contenu) : elle induit aussi un comportement (relation). Autrement dit un interlocuteur, tout en recevant le contenu d’un discours (contenu), perçoit dans le comportement de celui qui parle (relation) d’autres signes : Les gestes, le regard, la tonalité de la voix sont autant de signes qui peuvent modifier le sens du message.

Un exercice de comédiens fonctionne sur ce principe. Il consiste à prononcer plusieurs fois la même phrase, par exemple « je t'aime » en cherchant successivement à exprimer la tendresse, l'ironie, l'agressivité, la haine... On s'aperçoit alors que la manière d'exprimer une phrase est chargée de beaucoup plus de sens que les mots eux-mêmes. De la sorte, le comportement de l'intervenant apparait comme un commentaire porté sur le message lui même, expliquant comment il faut le comprendre.  Des messages comme « Veillez à desserrer l’embrayage progressivement et sans à-coups » et « Vous n’avez qu’à laisser filer l’embrayage et la transmission sera fichue en un rien de temps », ont en gros le même contenu informatif mais définissent visiblement des relations très différentes.

Lorsque Paul WATZLAWICK écrit que la relation est une métacommunication par rapport au contenu, il indique que la relation donne la marche à suivre pour comprendre le contenu. Elle agit comme un mode d’emploi dans l’utilisation du contenu.

En réalité, et c'est essentiel pour Paul WATZLAWICK, cette compréhension ne dépend pas seulement de l’intention de l’intervenant. Elle dépend également de la manière d'être de la personne qui reçoit le message. Selon, simplement, qu'il sera favorablement ou défavorablement disposé, selon son humeur, selon son histoire, le même message lui semblera, par exemple, humoristique ou agressif.

Par conséquent, si l'on appelle contenu le premier niveau, celui du vocabulaire, le second niveau sera constitué par le rapport entre le comportement de l'intervenant et de son interlocuteur, c'est à dire qu'il se situe au niveau de la relation. Par métacommunication, il faut comprendre que le contenu du message est asservi à la signification produite par la relation.

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Axiome 1

Propositions pour une axiomatique de la communication

(P.Watzlawick – Une logique de la communication, 1967)

 

1- « On ne peut pas ne pas communiquer. »

« Le comportement n’a pas de contraire. Autrement dit, il n’y a pas de non comportement, ou pour dire les choses encore plus simplement : on ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, si l’on admet, dans une interaction, tout comportement a valeur de message, c'est-à-dire qu’il est une communication, il suit qu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on le veuille ou non. Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message  »

Il s’ensuit de ce principe que tout comportement induit une communication.  « Le seul fait de ne pas parler ou de ne pas prêter attention à autrui ne constitue pas une exception à ce que nous venons de dire. Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde droit devant lui, un passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, communiquent tous deux un message: ils ne veulent parler à personne, et ne veulent pas qu'on leur adresse la parole; en général, leurs voisins « comprennent le message et y réagissent normalement en les laissant tranquilles. Manifestement, il y là un échange de communication, tout autant que dans une communication animée » (p.46)

« Par ailleurs, si l’on admet que tout comportement est communication, même pour l’unité la plus simple qui soit, il est évident qu’il ne s’agira pas d’un message monophonique : nous aurons affaire à un composé fluide et polyphonique de nombreux modes de comportement : verbal, tonal, postural, contextuel, etc, chacun d’eux spécifiant le sens des autres. Les divers éléments qui entrent dans ce composé (considéré comme un tout) sont passibles de permutation très variées et très complexes, allant de la congruence à l’incongruence et au paradoxe ». (pp 47/48)

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dimanche, 21 mars 2010

Signes, icones, symboles

Les images entretiennent avec leurs modèles des relations que les sémiologues se sont efforcés de distinguer et de classer. Selon la classification de Charles S. Peirce, on en retient ordinairement trois : l’indice, l'icône, le symbole

247. Un Icone est un signe qui fait référence à l'Objet qu'il dénote simplement en vertu de ses caractères propres, lesquels il possède, qu'un tel Objet existe réellement ou non. (...) N'importe quoi, que ce soit une qualité, un existant individuel, ou une loi, est un icone de n'importe quoi, dans la mesure où il ressemble à cette chose, et en est utilisé comme le signe.

248. Un Indice est un signe qui fait référence à l'Objet qu'il dénote en vertu du fait qu'il est réellement affecté par cet objet (...) Dans la mesure où l'Indice est affecté par l'Objet, il a nécessairement certaines qualités en commun avec cet Objet, et c'est sous ce rapport qu'il réfère à l'Objet. Il implique, par conséquent, une certaine relation iconique à l'Objet, mais un icone d'un genre particulier; et ce n'est pas la simple ressemblance à son Objet, même sous ces rapports, qui en font un signe mais les modifications réelles qu'il subit de la part de l'Objet.

249. Un Symbole est un signe qui se réfère à l'Objet qu'il dénote en vertu d'une loi , habituellement une association générale d'idées, qui provoque le fait que le Symbole est interprété comme référant à l'Objet.

Charles Pierce Éléments of Logic, (1903), in Collected Papers, Harvard University Press, 1960

 

Première distinction : INDICE & SIGNAL

Ce qui distingue l’indice du signal, c’est l’intention de communiquer que l’indice n’a pas, mais que le signal a : Uun ciel d’orage n’a pas l’intention de communiquer avec nous. Pourtant, comme le dit Pierce, « il fait référence à l’objet qu’il connote (la pluie) en vertu du fait qu’il est réellement affecté par l’objet ». Un ciel d’orage est un indice de pluie. L’indice, en effet, entretient un rapport physique, matériel, avec la chose qu’il désigne. Autre exemple : une trace de pas. C’est le pied (ou la chaussure) qui a produit l’indice. Il y a un rapport direct, physique entre les deux. L’indice est prélevé au monde. Les animaux, la nature peuvent laisser des indices, mais ils ne peuvent produire des signaux. Ce qui lie la trace de pas au pied (ou à la patte) qui l’ont produite est un rapport de causalité.

Tous les signes qui ne sont pas des indices, parce qu’ils sont produits par une intention de communiquer, sont des SIGNAUX. On distingue parmi eux les symboles et les icones

Deuxième distinction : SYMBOLE, ICONE[1]

L’intention de communiquer a permis de distinguer indice et signal. L’examen des liens qui existent entre A & B permet une deuxième distinction parmi tous les signaux possibles :

ICONE : Lorsque la relation d’analogie va jusqu’à une relation de ressemblance (rapport mimétique), c’est un icone. Pour les Grecs anciens, l'icône par excellence est une statue en vraie grandeur d'un personnage humain : c'est le prototype de l'image mimétique. L’icone, contrairement à l’indice, est rajouté au monde. Seuls, les humains peuvent les produire. L’icône est la catégorie la plus haute d’images, la plus conceptuelle. Il y a une grande quantité d'icones largement utilisées par nos sociétés modernes et qui sont reconnaissables par un grand nombre d'individus dans les sociétés modernes.

Il est relativement facile d'identifier, d'après les icones présentés ci-dessus, les significations de clavier, de bar, de souris, d'imprimante, de restaurant et de loupe pour modifier la taille d'un objet. Ces significations sont évidentes à cause du lien analogique direct entre l'élément utilisé pour représenter la réalité et son rapport extrêmement étroit avec l'objet qu'il représente. Les icones sont utilisés dans la signalétique et le sont de plus en plus sur le Web.

 

LA COUPURE SEMIOTIQUE

On appelle coupure sémiotique la séparation entre signifiant et le référent: le mot chat ne miaule pas, le mot chien ne mord pas ; Gregory Bateson disait qu’  « en donnant un coup de pied au mot chien, on pouvait le mettre sur orbite ». Dans le même genre, il y a la célèbre citation d’Alfred Korzybski : « La carte n’est pas le territoire ». Je n’aurai pas les mêmes sensations en parcourant la carte et en parcourant le territoire ; je ne verrais pas sur le territoire les icones (voire les symboles) qui parcourent la carte.

SYMBOLE : Lorsqu’une une relation de représentation culturelle existe entre la forme du signal et l’élément de la réalité qu’il indique ce signal est un symbole. Par exemple, le drapeau rouge est le symbole de la Révolution. Ce qui lie la révolution au drapeau rouge est une convention, pas une ressemblance.

• une colombe symbolise un message de paix;

• signaux routiers : cercle rouge avec une ligne transversale symbolise aussi une interdiction.
• les tours du WTC de New York symbolisaient la suprématie financière de cette ville
• la couleur bleu poudre, dans les forces armées, symbolise une force neutre (casques bleus)
• le champagne (marque Dom Pérignon) symbolise la richesse et le luxe extrême

Triangle sémiotique de Peirce : il faut penser l'image (ou icône) entre l'indice et le symbole

L'image est prise entre deux blocs sémiotiques distincts : d'un côté le symbole, de l'autre l'indice. On peut lire ce schéma de façon chronologique ou phylogénétique.

peirce-triangle.jpg1. A l'origine, il y a l'immense domaine des indices, que nous partageons avec les animaux. L'indice est un fragment arraché aux phénomènes, un échantillon prélevé sur le monde. Dans la nature, c'est une chose parmi les choses : la fumée est l'indice du feu, la rougeur l'indice de la fièvre, etc... Il fonctionne par contact de manière matérielle, physique, en continuité. C'est une « partie de », un prélèvement.

2. A partir de l'indice se détache la sphère des icônes. C'est un saut, une coupure, une rupture des continuités indicielles : le saut humain ou anthropologique par excellence. Exemples : un reflet dans l'eau, une ombre sur un mur, des mains primitives visibles dans une caverne, une image. L'icône s'ajoute au monde alors que l'indice est prélevé sur lui. En général elle est figurative, elle fonctionne sur un mode analogique (la ressemblance). Elle a un double tropisme, tantôt vers l'indice, tantôt vers le monde logico-langagier. Dans notre culture, les images sont subordonnées aux mots qui les cadrent, les légendent.

3. Une deuxième coupure sépare les symboles des icônes, la coupure sémiotique. Elle fait venir l'ordre, le code, l'arbitraire du signe, tout ce que veut dire logos : calcul, raison, langage, relation verbale, distinction, représentation, concept. Là commence le processus secondaire  par opposition aux images (primaires).

EN RESUME : L’indice fait partie de la réalité, et entretient un rapport de causalité avec ce qu’il représente ou désigne. L’icône et le symbole sont des créations humaines. L’icône a une relation de ressemblance avec ce qu’il désigne. Le symbole une relation conventionnelle et donc arbitraire.

INDICE (aucune intention)

SIGNAL (Intention de communication)

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ICONE

SYMBOLE

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Indice d’une empreinte de pas, icône d’un restauroute, symbole appelant à l’attention.



[1] prend un accent circonflexe. Mais sous cette forme il a une signification religieuse. D'où la préférence qu'on accorde ici (par référence à  l'anglais icon) à  icone, au masculin et sans accent.» D'après : GARDIES (André), BESSALEL (Jean), 200 mots-clés de la théorie du cinéma, Paris, Editions du Cerf, 1992.

15:44 Publié dans théorie du signe | Tags : peirce | Lien permanent | Commentaires (0)

Genèse de la sémiologie

GENESE : Cette discipline tire ses origines du XVIIe siècle, à l'époque où toute la compréhension du monde était remise en question en fonction d'un nouveau postulat: le rationalisme. On peut identifier trois «pères fondateurs» de la sémiologie (encore appelée «sémiotique»): le britannique Locke, l'américain Peirce et le suisse de Saussure.

Le médecin philosophe anglais John Locke (1632-1704) publie en 1690 son Essay Concerning Human Understanding . il met de l'avant l'idée que l'expérience (empirisme) est plus importante que la modélisation a priori (cartésianisme) et propose par là les moyens d'accéder à la connaissance de la vérité par des moyens différents de ceux que propose son «adversaire» et éminent prédécesseur, le philosophe et savant français René Descartes (1596-1650).

Au chapitre 21 de son livre, Locke propose ses vues sur la division des sciences en trois catégories :

-          la physique ou philosophie naturelle

-          la pratique (la morale)

-          la sémiotique ou connaissance des signes (la logique). Il considère la sémiotique comme mode de renouvellement de la logique toute entière.

Voici ce qu'il en dit: «Son emploi consiste à considérer la nature des signes dont l'Esprit se sert pour entendre les choses, ou pour communiquer la connaissance aux autres. Car puisque entre les choses que l'esprit contemple, il n'y en a aucune, excepté lui-même, qui soit présente à l'entendement, il est nécessaire que quelque chose se présente à lui comme signe ou représentation de la chose qu'il considère, et ce sont les idées. Mais parce que la scène des idées qui constitue les pensées d'un Homme, ne peut pas paraître immédiatement à la vue d'un autre Homme, ni être conservée ailleurs que dans la mémoire, qui n'est pas un réservoir fort affairé, nous avons besoin de signes de nos idées pour pouvoir nous entre-communiquer nos pensées aussi bien que pour les enregistrer pour notre propre usage. Les signes que les Hommes ont trouvés les plus commodes, et ce dont ils ont fait par conséquent un usage plus général, ce sont les sons articulés. C'est pourquoi la considération des Idées & des Mots, autant qu'ils sont les grands instruments de la connaissance, sont une partie assez importante de leurs contemplations, s'ils veulent envisager la Connaissance Humaine dans toute son étendue. Et peut-être que si l'on considérait délicatement et avec tout le soin possible cette dernière espèce de Science qui roule sur les Idées & les Mots, elle produirait une Logique et une Critique différentes de celles qu'on a vues jusqu'à présent.»

 

Le philosophe américain Charles-Sanders Peirce (1839-1914) réfléchit à la même question 200 ans plus tard etPeirce.jpg expose ses idées dans ses Collected Papers qui furent publiés longtemps seulement après sa mort (à partir de 1930). Peirce y milite en faveur du «pragmatisme» où les idées exprimées doivent l'être seulement si elles sont le fruit de l'expérience et en vue de gouverner nos actes. Il propose à son tour une division des sciences narratives en trois branches:

-          l'esthétique

-          l'éthique

-          la logique.

Et l'auteur s'attarde à s'expliquer sur ce qu'il entend par «logique»: «Comme la logique s'exprime par le moyen des signes, on peut considérer la logique comme la science des lois générales des signes.»

Et plus loin, il explicite davantage:

«Dans son sens large, c'est la science des lois nécessaires à la pensée, ou encore mieux (vu qu'elle fonctionne toujours au moyen de signes), c'est une sémiotique générale, qui considère non seulement la vérité mais aussi les conditions générales qui font que les signes sont des signes (ce que Duns Scotus appelle grammaire spéculative), de même que les lois de l'évolution de la pensée qui, comme cela coïncide avec l'étude des conditions nécessaires à la transmission du sens d'esprit à esprit par des signes, et d'un état d'esprit à un autre, fait qu'on doit, prenant avantage d'une vieille association de termes, l'appeler rhétorique spéculative mais que je m'empêche d'appeler inadéquatement «logique objective» car cela transmettrait l'idée juste que cela équivaut à la logique de Hegel.» Et plus loin, il ajoute encore: «La logique, dans son sens général, c'est, comme j'espère l'avoir montré, seulement un autre nom pour 'sémiotique', la doctrine quasi-nécessaire ou formelle des signes.»

Cela est suffisant pour que les gens de l'art considèrent Peirce comme le père de la sémiotique moderne.

 

Mais à peu près à la même époque, un linguiste suisse, Ferdinand de Saussure (1857-1913), s'intéressait aussi aux codes. Son Cours de linguistique générale fut reconstitué et publié en 1916 par un de ses élèves genevois, Charles Bally. Tout linguiste qu'il fut, Saussure comprit rapidement que la langue, comme tous les autres codes sociaux, devait être étudiée de l'intérieur, en tant que système structurel. Voici ce qu'il en disait:

saussure.jpg «La langue est un système de signes exprimant des idées, et par là, comparable à l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces signes. On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale; nous la nommerons sémiologie (du grec semeion, 'signe'). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu'elle n'existe pas encore, on ne peut dire ce qu'elle sera; mais elle a droit à l'existence, sa place est déterminée d'avance.  La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un domaine bien défini dans l'ensemble des faits humains.»

Et plus loin, il ajoutait:

«Le signe échappe toujours en une certaine mesure à la volonté individuelle ou sociale, c'est là son caractère essentiel; mais c'est celui qui apparaît le moins à première vue. Ainsi ce caractère n'apparaît bien que dans la langue, mais il se manifeste dans les choses qu'on étudie le moins, et par contrecoup on ne voit pas bien la nécessité ou l'utilité particulière d'une science sémiologique

Saussure, par là, devint le père de la communication sociale; ses concepts et ses approches se sont répandus dans toutes les sciences humaines et sociales: du journalisme à l'esthétique, de la sociologie religieuse à la publicité, de la logique aux mathématiques, de l'architecture à la linguistique.

La sémiologie insiste sur la mise en lumière des aspects socio-structuraux des systèmes de signes contrairement à la sémiotique qui vise davantage à préciser les relations logiques unissant les signes aux référents. Mais dans un cas comme dans l'autre, ce sont des sciences qui cherchent à comprendre la nature des signes qu'emploient les hommes pour communiquer.

Le sémioticien américain Thomas-A. Sebeok s'est essayé à éclaircir l'ambiguïté qui persiste entre sémiotique et sémiologie sans y réussir tout à fait. Mais l'appellation même de sémiologie, tout en gagnant du terrain sur le plan méthodologique aux Etats-Unis comme ailleurs, perd du terrain dans le monde au profit de l'expression anglo-saxonne «sémiotique»: «la raison du plus fort est toujours la meilleure», comme le reconnaissait La Fontaine.

Il ne faudrait pas manquer de mentionner les noms de deux autres chercheurs qui ont repris le flambeau: Morris et Barthes. Le philosophe et linguiste américain Charles-W. Morris (1901-1979) a développé et répandu les idées de Peirce. C'est lui qui insiste sur le fait que les conditions d'utilisation des signes dans la pratique doivent largement être prises en compte. C'est ce qu'il appelle la «pragmatique». La pragmatique est une discipline qui est largement enseignée et étudiée de nos jours. On se rend bien compte qu'il ne suffit pas de savoir manier logiquement les signes pour pouvoir entrer en communication de manière efficace avec un interlocuteur. Ce qui importe par surcroît, et par certains aspects au premier chef, c'est de pouvoir amorcer les atomes crochus du récepteur. Et cela, c'est mettre en pratique la pragmatique. On peut situer ce concept par rapport à ceux de Peirce qui décelait trois approches dans l'étude systématique des signes:

-          selon que le signe est en relation avec le référent

-          selon qu'il est en relation avec d'autres signes

-          selon qu'il est en relation avec le sujet.

Les deux auteurs nommaient différemment chacun de ces trois aspects :

 

Le signe est en relation avec...

Peirce

Morris

a) le référent

la logique

la sémantique

b) d'autres signes

la grammaire pure

la syntagmatique

c) le sujet

la rhétorique pure

la pragmatique

 

 

Le sémiologue allemand Max Bense (1971) résume sous une forme schématique la nature tridimensionnelle d'un signe selon qu'il est en relation avec:

-          l'objet qu'il représente (ou référent)

-          le signifié qu'il produit (l'interprétant dit Bense à la suite de Peirce)

-          le signifiant qu'il est (le moyen dit Bense, le representamen disait Peirce).

 

Selon le type de rapport qu'un signe entretient avec son référent, le signe sera un icone (ressemblant à l'objet), un indice (ayant une relation de «contiguïté naturelle») ou un symbole (fondé sur une convention arbitraire). Selon la nature du rôle signifiant qu'il joue, un signe est un logisigne (il agit de manière conventionnelle), un sinsigne (qui agit de manière donnée en fonction d'une utilisation spatio-temporelle précise), ou un qualisigne (dont la force évocatrice est propre à lui). Enfin, selon le signifié qu'il est capable d'évoquer, un signe sera ouvert (s'il sert seulement à évoquer une sensation et qui n'est donc ni vrai ni faux sur le plan logique), fermé (s'il sert à faire un énoncé logique, ou vrai ou faux), ou complet (s'il constitue un énoncé nécessairement vrai).

 

Le critique et sémiologue français Roland Barthes (1915-1981) reprit quant à lui les idées de Saussure dans ses Eléments de sémiologie (1964). Dans cet article, l'auteur annonçait sa position en ces termes: «On sait que les linguistes renvoient hors du langage toute communication par analogie, du 'langage' par gestes, du moment que ces communications ne sont pas doublement articulées, c'est-à-dire fondées en définitive sur une combinatoire d'unités digitales, comme le sont les phonèmes. Les linguistes ne sont pas seuls à suspecter la nature linguistique de l'image; l'opinion commune elle aussi tient obscurément l'image pour un lieu de résistance au sens, au nom d'une certaine idée mythique de la Vie; l'image est représentation, c'est-à-dire en définitive résurrection, et l'on sait que l'intelligible est réputé antipathique au vécu. Ainsi, des deux côtés, l'analogie est sentie comme un sens pauvre: les uns pensent que l'image est un système très rudimentaire par rapport à la langue et les autres que la signification ne peut épuiser la richesse ineffable de l'image.

Or, même et surtout si l'image est d'une certaine façon limite du sens, c'est à une véritable ontologie de la signification qu'elle permet de revenir. Comment le sens vient-il à l'image ? Où le sens finit-il ? Et s'il finit, qu'y a-t-il au-delà ? C'est la question que l'on voudrait poser ici en soumettant l'image à une analyse spectrale des messages qu'elle peut contenir. On se donnera au départ une facilité considérable: on n'étudiera que l'image publicitaire. Pourquoi ? Parce qu'en publicité, la signification de d'image est assurément intentionnelle.» Ce fut le point de départ de l'étude sémiologique des images fonctionnelles. Celle-ci peut englober un grand nombre de manifestations imagiques comme l'a mentionné le sémiologue italien Umberto Eco (1972), qui énumère: signalisations formalisées, systèmes chromatiques, systèmes graphiques, propriétés iconiques des graphes, vêtement, signe iconique, unités iconographiques, publicité, bandes dessinées, systèmes de billets de banque, cartes à jouer, rébuts, tarots, projets architecturaux, notation chorégraphique, cartes géographiques et topographiques; et la liste pourrait s'allonger.

L'image et le Réel

Le mot image recouvre diverses réalité :

- 1) Celle des physiciens de l'optique, qui évoquent l'image lumineuse. Cette image est constituée de quanta d'énergie émis ou réfléchis par un corps et perceptibles par l'oeil. En ce sens, tout ce que notre oeil peut voir est image lumineuse: la lumière émise par le soleil ou par une ampoule incandescente de même que les objets naturels qui réfléchissent ces lumières (paysages, êtres vivants, etc.).

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Le spectre visible n'est qu'une infime partie des ondes que nous connaissons. Immédiatement adjacent au spectre lumineux, sont présents à droite, les rayons infrarouges et à gauche, les ultraviolets ; puis, plus loin, les micro-ondes et les rayons X ; enfin, les ondes radio et les rayons gamma.

 

L 'appareil photographique est une sorte de métaphore technique de l’œil qui l’œil qui capture et réinterprète les rayons lumineux grâce au dispositif optique que sont cornée, pupille et cristallin, puis les concentre sur cette sorte de plaque photosensible qu'est la rétine (macula et fovéa). La rétine est constituée de deux types de capteurs lumineux : les cônes, motivés lors de la vision diurne chromatique et précise ; et les bâtonnets, responsables de la vision nocturne achromatique et de faible acuité. Le récepteur sensoriel local qu’est l’œil est ainsi capable de repérer et d'interpréter le phénomène lumineux en terme de couleurs et de contrastes.

 
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- 2.)  L’image peut être aussi une image mentale (reflet, illustration, ressemblance, projection mathématique, souvenir...), que le cerveau reconstitue à partir de celle déjà stockées dans la mémoire. Si je vous dit arbre, vous « voyez » un arbre. Ce sont les psychologues qui cherchent à comprendre comment s'élabore l'image mentale. C'est un domaine complexe où il devient difficile de relier ce qui est signesaussure1.gifstrictement biologique à ce qui ressort des fonctions symboliques dont le fonctionnement demeure plus obscur encore. L'image mentale que nous nous faisons des choses que nous voyons (ou avons vues) nous permet d'attribuer au monde une signification, un sens : ce que les linguistes, à la suite de Saussure appellent un signifié. Je dispose, par exemple, d'une image mentale préfabriquée d'un chien, d'un arbre ou d'un bateau, qui me permet par la pensée d'identifier toute sorte d'arbres, de chiens ou de bateaux. Dans le Cours de linguistique générale, Saussure commence par définir le signe linguistique (le mot) comme une «entité psychique à deux faces» qui «unit un concept et une image accoustique». Le signe n'est donc pas l'association d'un mot et d'une chose, comme on le pense généralement, explique Saussure. Le mot est l’association d’un signifié et d’un signifiant accolé l’un à l’autre dans un rapport que Benveniste appellera nécessaire. Et cet ensemble [signifié / signifiant] constitue le signe linguistique.

L’image n’a donc en elle-même aucune signification : c’est le cerveau qui lui en donne une, quand il l'utilise pour en faire un signifié. Il s'en suit que ce que nous appelons image est un phénomène composé, coloré par l'oeil à notre insu, qui acquiert une signification réelle grâce à tout ce que le cerveau a perçu auparavant : Quand pour la première fois, je vois une forme indéterminée, je ne la comprends pas, au sens propre. 

- 3) En dernier lieu et dans son acception courante, le mot image réfère à l'image reproduite, c'est-à-dire celle qui est posée sur un support matériel comme un papier photographique ou une toile à peindre. Cette image de pure composition permet la figuration concrète ou la représentation abstraite.  L'image figurative se confond donc très facilement avec la réalité. La ressemblance (et la confusion qui l'accompagne) entre image et réalité est un phénomène mis en valeur par  Magritte dans son tableau, la pipe.

 

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En 1929, Magritte a peint La Trahison des Images. Le psychologue américain William James, frère ainé d'Henry, avait déjà affirmé, dans le même ordre d'idée, que le mot chien ne mordait pas.

Devant l’image réaliste d’une pipe et, inscrite en lettres calligraphiées, la formule   « ceci n’est pas une pipe », l’explication la plus simple et peut-être la meilleure est de comprendre que l’image d’un objet n’est jamais l’objet lui-même, l’objet dont on peut se servir, la pipe qu’on peut fumer. Michel Foucault, dans son essai Les mots et les Choses remarque que si le portrait de la pipe affirme une réalité et que la suscription la nie, le contraire est aussi vrai. La suscription affirme une réalité, et l'image la nie. Or, affirmation et négation se neutralisent et il conclut: donc « nulle part il n’y a de pipe »!

Mais Magritte écrit lui-même au dos d’une reproduction d’un de ces tableaux, envoyée à Foucault : « Le titre ne contredit pas le dessin; il affirme autrement. »

En 1966, soit dix huit années après l'exécution de la trahison des images, René Magritte avait peint un autre tableau sur le même thème, intitulé cette fois « les deux mystères ». On y découvrait dans l'angle inférieur droit, une reproduction exacte du tableau précédent, encadré et posé sur un chevalet tandis que, dans l'angle supérieur gauche on voyait l'image d'une autre pipe, semblable à la première (bien que plus sombre et d'un format agrandi) qui semblait flotter dans l'espace.

 


MICHEL FOUCAULT, Les mots et les Choses, 1973


Nulle part, il n'y a de pipe.


A partir de là, on peut comprendre la dernière version que Magritte a donne de Ceci n'est pas une pipe. En plaçant le dessin de la pipe et l’énoncé qui lui sert de légende sur la surface bien clairement délimitée d'un tableau (dans la mesure ou il s'agit d'une peinture, les lettres ne sont que l'image des lettres; dans la mesure ou il s'agit d'un tableau noir, la figure n'est que la continuation didactique d'un discours), en plaçant ce tableau sur un trièdre de bois épais et solide, Magritte fait tout ce qu’il faut pour reconstituer (soit par la pérennité d'une œuvre d'art, soit par la vérité d'une leçon de choses) le lieu commun à l'image et au langage.

Rene_Magritte-Les_deux_mysteres-430px.jpgTout est solidement amarré à l’intérieur d'un espace scolaire: un tableau « montre » un dessin qui « montre » la forme d'une pipe; et un texte écrit par un instituteur zélé « montre » que c'est bien d'une pipe qu’il s'agit. L’index du maître on ne le voit pas, mais il règne partout, ainsi que sa voix, qui est en train d'articuler bien clairement: «ceci est une pipe ». Du tableau à l'image, de l'image au texte, du texte à la voix, une sorte d’index général pointe, montre, fixe, repère, impose un système de renvois, tente de stabiliser un espace unique. Mais pourquoi ai-je introduit encore la voix du maître ? car à peine a-t-elle dit « ceci est une pipe » qu'elle a dû aussi se reprendre et balbutier: « ceci n'est pas une pipe, mais le dessin d'une pipe », « ceci n’est pas une pipe mais une phrase disant que c’est une pipe », « la phrase: « ceci n’est pas une pipe » n'est pas une pipe »; « dans la phrase « ceci n'est pas une pipe », ceci n'est pas une pipe: ce tableau, cette phrase écrite, ce dessin d'une pipe, tout ceci n’est pas une pipe ».

Les négations se multiplient, la voix s'embrouille et s’étouffe; le maître confus baisse l'index tendu, tourne le dos au tableau, regarde les élèves qui se tordent et ne se rend pas compte que s’ils rient si fort, c'est qu'au-dessus du tableau noir et du maître bredouillant ses dénégations, une vapeur vient de se lever qui peu à peu a pris forme et maintenant dessine très exactement, sans aucun doute possible, une pipe. « C’est une pipe, c’est une pipe » crient les élevés qui trépignent tandis que le maître, de plus en plus bas, mais toujours avec la même obstination, murmure sans que personne ne l’écoute désormais: « et pourtant ceci n'est pas une pipe ». Il n'a pas tort: car cette pipe qui flotte si visiblement au-dessus de la scène, comme la chose à laquelle se réfère le dessin du tableau noir, et au nom de laquelle le texte peut dire à juste titre que le dessin n'est pas vraiment une pipe, cette pipe elle-même n’est qu’un dessin; ce n'est point une pipe. Pas plus sur le tableau noir qu'au-dessus de lui, le dessin de la pipe et le texte qui devrait la nommer ne trouvent ou se rencontrer et s’épingler l'un sur l'autre comme le calligraphe avec beaucoup de présomption, avait essaye de le faire. Alors, sur ses montants biseautés et si visiblement instables, le chevalet n'a plus qu'à basculer, le cadre à se disloquer, le tableau à rouler par terre, les lettres à s’éparpiller, la « pipe » peut « se casser »: le lieu commun— œuvre banale ou leçon quotidienne— a disparu.[...] Mais l’énoncé, ainsi articule deux fois déjà par des voix différentes, prend à son tour la parole pour parler de lui-même: « Ces lettres qui me composent et dont vous attendez, au moment où vous entreprenez de les lire qu’elles nomment la pipe, ces lettres, comment oseraient-elles dire qu’elles sont une pipe, elles qui sont si loin de ce qu'elles nomment ? Ceci est un graphisme qui ne ressemble qu'à soi et ne saurait valoir pour ce dont il parle ». Il y a plus encore : ces voix se mêlent deux a deux pour dire, parlant du troisième élément, que « ceci n'est pas une pipe ». Liés par le cadre du tableau qui les entoure tous deux, le texte et la pipe d'en bas entrent en complicité: le pouvoir de désignation des mots, le pouvoir d'illustration du dessin dénoncent la pipe d'en haut, et refusent à cette apparition sans repère le droit de se dire une pipe, car son existence sans attache la rend muette et invisible. Liées par leur similitude réciproque, les deux pipes contestent à l’énoncé écrit le droit de se dire une pipe, lui qui est fait de signes sans ressemblance avec ce qu’ils désignent. Liés par le fait qu'ils viennent l'un et l'autre d'ailleurs, et que l'un est un discours susceptible de dire la vérité, que l'autre est comme l'apparition d'une chose en soi, le texte et la pipe d'en haut se conjuguent pour formuler l'assertion que la pipe du tableau n'est pas une pipe. Et peut-être faut-il supposer qu’outre ces trois éléments, une voix sans lieu (celle du tableau, peut-être, tableau noir ou tableau tout court) parle dans cet énoncé; ce serait en parlant à la fois de la pipe du tableau, de la pipe qui surgit au-dessus, qu'elle dirait:

« Rien de tout cela n'est une pipe; mais un texte qui simule un texte; un dessin d'une pipe qui simule un dessin d'une pipe; une pipe (dessinée comme n'étant pas un dessin) qui est le simulacre d'une pipe (dessinée à la manière d'une pipe qui ne serait pas elle-même un dessin) ». Sept discours dans un seul énoncé. Mais il n'en fallait pas moins pour abattre la forteresse ou la similitude était prisonnière de l'assertion de ressemblance.

 

 Dans ce dernier sens, l'image en tant que signe visuel est une composition volontaire tendant à produire des significations à partir de formes et de couleurs, c'est à dire de la réalité limitée que l'oeil perçoit de la lumière ; un énoncé visant à répondre à certains objectifs et disposant dans cette visée ses éléments constitutifs d'une façon motivée : un dispositif signifiant. 

 

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photo de Cornel Lucas

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             Les pouvoirs de l’image

Même si la pipe ne fume pas et même si le chien ne mord pas, tous ces signes ont le pouvoir, dans la vie quotidienne de véhiculer et de transmettre des charges émotives considérables.   «Comme il y a des mots qui blessent, tuent, enthousiasment, soulagent, etc., il y a des images qui donnent la nausée, la chair de poule, qui font frémir, saliver, pleurer, bander, gerber, décider, acheter telle voiture, élire tel candidat plutôt que tel autre, etc

Face à un bombardement quotidien d'images, la plupart de celles-ci retiennent à peine notre attention d'autres, comme celle de Magritte,  font «mouche» et nous «touchent» durablement. Certaines, véritables engrammes, s'installent définitivement dans notre mémoire sous forme d'images mentales. 

Une galerie (Dinodia Photo Library) a fait réaliser en 2007 une campagne de pub par une agence indienne. Le graphiste qui l’a conduite, Léo Burnett à Mumbai, l’a nommée « no matter what you says, à picture says more » pour souligner non pas la réalité plus grande de l’image sur le mot, mais l’impact émotionnel immédiat plus fort dont elle dispose, surtout dans les opinions occidentales soumises à un bombardement médiatique incessant.

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Il a donc réalisé trois images représentant Hitler, mère Térésa, Ben Laden et le mahatma Gandhi. Sur la première, en grosses lettres blanches, il a inscrit le nom de JEAN PAUL II, sur la seconde celui de PAMELA ANDERSON, sur la troisième celui du mahatma GANDHI, et sur la dernière le nom de Saddam HUSSEIN. Dans l’album « a picture says more », vous irez les voir. Voici la première. L’effet mis en lumière par Foucault est là très visible : Le message textuel affirme une réalité, et le message iconographique la contredit. Laquelle croire et laquelle ne pas croire ?  Si vous faites l’expérience de le leur demander, la plupart des gens croiront à l’image et vous diront, malgré le message qui barre la photo, que c’est bien Hitler et que la légende est une erreur. L’image possède donc un pouvoir suggestif très important, dispose d'un taux de crédibilité plus fort que lui auprès des gens qui, comme saint-Thomas, affirment ne croire qu'à ce qu'ils voient.  plus que le mot, même si elle est un signe tout aussi arbitraire que lui.

 

Les sept sensations de l’image :

 

Dans le premier chapitre de son livre Communiquer par l’image, consacré au potentiel des images, Alain Joannès hiérarchise les fonctions et explicite le langage spécifique des images. Cette approche sensitive est un outil de déchiffrement précieux pour tout «regardeur» désireux d'aller au-delà de la surface de l'image.


1 - La taille

C’est la première sensation que procure une image. Choisir la dimension d’une image, c’est fixer à l’avance un certain type de relation entre cette image et le spectateur (écrasement, domination, intimité, secret...). On doit bien sûr, dans toute analyse de l’image, tenir compte en premier lieu du format.

2 - La proxémie[1]

Le format suggère, voire intime, une sorte de distance à respecter pour voir l’image correctement. Songeons aux problèmes « d’exposition » qu’ont les musées et les galeries dans la présentation de tableaux d’inégales dimensions. La distance conventionnellement suggérée entre le sujet et le spectateur est donc un facteur de lisibilité : L’impression d’être trop près peut être ressentie comme une nuisance ou relever de la confidence. Les sensations d’intimité ou de gêne sont déjà des contenus. (La proxémie s’exprime selon 4 zones, du plus éloigné au plus proche : zone publique, zone sociale, zone personnelle, zone intime).

3 - La luminosité

Elle renvoie aux expériences ancestrales du jour et de la nuit, du clair et du sombre.
Par conséquent elle agit sur l’inconscient. À ces expériences de nuit et de jour sont associés le visible et l’invisible, l’évidence et le mystère. Envisager une image lumineuse, c’est déjà injecter un contenu rassurant, attractif ; prévoir une image sombre, c’est lui affecter un message d’angoisse. Ou au contraire, inciter à la quête.


4 - La coloration

La coloration installe une atmosphère qui est déjà un message bien avant que soient perceptibles les valeurs symboliques de chaque teinte. D’une image qui comporte beaucoup de couleurs, on  dit qu’elle est à la fois luxuriante et complexe. Ce qui implique «appétence» ou «fatigue visuelle», «fascination» ou «méfiance». On trouvera « joyeux » l’assemblage de couleurs, mais en même temps, l’oeil n’en retiendra aucune : c’est pourquoi une image publicitaire bien faite a rarement plus de trois ou quatre couleurs et dispose d’un fond uni.  

5 - La composition

Le cadrage (large ou resserré) et l’angle de vision (plongée, contre-plongée) conditionnent notre vision. La représentation d’un sujet volumineux enserré dans les limites de l’image provoque une sensation d’étouffement. Une composition fractionnée et chaotique oscille entre la prolifération, le grouillement, la confusion. Une perspective large et aérée est associée à l’idée de liberté, d’espace et de respiration.

6 - La dynamique Les lignes de forces sont des lignes visibles qui structurent la composition d’une image. Elles correspondent à des lignes simples (arête d’un mur, courbes d’un corps, ligne d’horizon) qui parcourent la photographie ou le tableau.
Les lignes de forces ou lignes directrices permettent de guider l’œil vers le sujet qu’on veut mettre en valeur. Une image dont les lignes de forces sont parfaitement verticales ou horizontales dénote la stabilité mais aussi la rigidité voire la monotonie. Lorsque ces mêmes lignes sont obliques, l’esprit comprend «instabilité» et, selon le sujet, «envol» ou «chute», qui peuvent se décliner en «essor ou «déclin».

7 - La texture

La texture est un code qui fournit le degré de réalisme ou d’idéalisation d’une image. Peindre la texture d’un objet ou d’un matériau, c’est représenter son apparence matérielle.
Le peintre adapte ses outils et ses gestes à l’effet désiré. Il transcrit visuellement une sensation tactile, le « perceptible » : boucles pelucheuses de la laine, veines satinées du bois, froideur translucide du marbre, ... La touche picturale est la façon de poser la peinture sur le support, caractérisée par l’outil et le geste : morcelée ou unie, hachurée ou plate, fine ou épaisse, ... La photographie gastronomique propose par exemple des textures précises pour suggérer la consistance d’un mets.



[1] Nommée et étudiée par l'anthropologue américain Edward T. Hall en 1963, la proxémie est la distance physique qui s'établit entre des personnes prises dans une interaction.