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jeudi, 29 juillet 2010

Les images, les mots et les formules

En étudiant l'imagination des foules, nous avons vu qu'elle est impressionnée surtout par des images. Ces images, on n'en dispose pas toujours, mais il est possible de les évoquer par l'emploi judicieux des mots et des formules. Maniés avec art, ils possèdent vraiment la puissance mystérieuse que leur attribuaient jadis les adeptes de la magie. Ils font naître dans l'âme des foules les plus formidables tempêtes, et savent aussi les calmer. On élèverait une pyramide beaucoup plus haute que celle du vieux Khéops avec les seuls ossements des hommes victimes de la puissance des mots et des formules.

 

La puissance des mots est liée aux images qu'ils évoquent et tout à fait indépen­dante de leur signification réelle. Ce sont parfois ceux dont le sens est le plus mal défini qui possèdent le plus d'action. Tels? par exemple, les termes : démocratie, socia­lisme égalité, liberté, etc., dont le sens est si vague que de gros volumes ne suffisent pas à le préciser. Et pourtant il est certain qu'une puissance vraiment magique s'atta­che leurs brèves syllabes, comme si elles contenaient la solution de tous les problèmes. Ils synthétisent les aspirations inconscientes les plus diverses et l'espoir de leur réalisation.

 

La raison et les arguments ne sauraient lutter contre certains mots et certaines formules. On les prononce avec recueillement devant les foules  ; et, dès qu'ils ont été prononcés, les visages deviennent respectueux et les fronts s'inclinent. Beaucoup les considèrent comme des forces de la nature, des puissances surnaturelles. Ils évoquent dans les âmes des images grandioses et vagues, mais le vague même qui les estompe augmente leur mystérieuse puissance. On peut les comparer à ces divinités redou­tables cachées derrière le tabernacle et dont le dévot ne s’approche qu'en tremblant.

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mardi, 27 juillet 2010

Le symbolisme des couleurs

Il est admis que, dans l’environnement, le vert détend, l’orangé est tonique, le rouge est excitant, etc. mais aucun instrument ne peut quantifier ce qu’une couleur exprime. Il est cependant une notion souvent utilisée par les coloristes ou les peintres que l’on peut prendre en compte, c’est la sensation de chaud ou de froid que l’on peut ressentir devant une couleur.

Est-ce parce que le bleu d’un glacier est proche du cyan et que le flamme d’un brasier est proche du vermillon que ces deux couleurs sont réputées représenter le mieux ces deux sensations ? Les robinets d’eau chaude et froide sont repérés dans le monde entier par le bleu et le rouge. C’est dire que ce lien est bien établi...

Autre constante, l'association d'une couleur et d'un élément : le bleu pour l'air, le jaune pour le métal (or),le vert pour l'eau, le rouge pour le feu.

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"Le gris est une couleur avouable" (Pétrus Sambardier, à propos des ciels lyonnais)

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lundi, 26 juillet 2010

L'inscription mise sur la porte de Thélème

Des jeux avec les signifiants comme s'il en pleuvait : En français du XVIème siècle, voici le chapitre 54 de l’illustrissime  Gargantua de François Rabelais, moine, médecin, écrivain de génie. Un texte proprement intraduisible, à cause justement du travail d’orfèvre sur la forme même de la langue française de l'époque. Gargantua octroie au moine Panurge, pour loyaux service rendus, la construction d’une abbaye à sa convenance. Ce sera l’abbaye de Thélème. Sur la porte, voici l’inscription qu’on prescrit de graver, une sorte de droit de passage, en quelque sorte, discriminant tout ce qui n'est pas justement chrétien. Voir notamment les utilisations des signifiants  [go], [chan] [batr] et dans la dernière strophes, [or][don, donne]. Le texte est vieux de cinq siècles, et  demeure l’une des plus belles réussites littéraires du genre. 

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Cy n'entrez pas, hypocrites,  bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux, boursouflez,
Tordcoulx, badaux plus que n'estoient les Gotz.
 Ny Ostrogotz/ precurseurs des magotz/
 Haires, cagotz,  caffars empantouflez.
 Gueux mitouflez, frapars escorniflez
 Befflez, enflez,  fagoteurs de tabus ;
 Tirez ailleurs pour vendre vo' abus.
 

Vos abus meschans
 Rempliroient mes camps
 De meschanceté ;
 Et par faulseté
 Troubleroient mes chants
 Vos abus meschans.


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samedi, 24 juillet 2010

Le Graphisme psychédélique

Le Psychédélisme serait-il tendance ? Le mouvement de la contre-culture créé dans le milieu des années 1960 a été si longuement  associé au mouvement hippie californien et aux perceptions sensorielles distordues après l’absorption de drogue hallucinogène (Lucy in the sky with diamonds) qu'il a été longtemps rejeté : l'usage du LSD, recommandé par le psychologue Timothy Leary, le chimiste Augustus Wolsey Stanley III et le romancier Ken Kesey, s'était répandu comme un feu de paille marmi les babas cools avant d'être relégué aux oubliettes.  Ce développement s'était produit malgré l'interdiction de la consommation du LSD aux USA en 1965 et en Angleterre en 1966. Il avait atteint son sommet de 1967 à 1969. L'art psychédélique avait alors  gagné en popularité en tant que composant visuel du Rock psychédélique (Jimi Hendrix, Grateful Dead et Pink Floyd) en particulier à travers les affiches de concerts ou les couvertures d'albums de designers comme Wes Wilson, Victor Moscoso, Rick Griffin et Martin Sharp. En France, Michel lancelot et son émission Campus sur Europe 1 en avait été le chantre inspiré .

Graphistes et publicitaires paraissent s’intéresser à nouveau aux effets obtenus par ses volutes, paquerettes, lettrages biomorphes, couleurs pop (principalement mauve, rose et  l'orange)... Peut-on aller jusqu’à parler de graphisme psychédélique ?

Le langage visuel psychédélique  est en fait largement inspiré de l'Art Nouveau et de la Sécession viennoise, dans lequel il a intégré des éléments orientaux. On y retrouve en particulier le rejet de la ligne droite en faveur des courbes, arabesques et motifs végétaux. La volonté décorative l'emporte sur la recherche de la lisibilité : un anti fonctionnalisme assumé en quelque sorte...

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Havajanas, chaussures de plage, 2009 -
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Pour Margarita potato chips, l'agence colombienne Sancho BBDO ressuscite le tunnel of love.  Mai 2009

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vendredi, 23 juillet 2010

Le bon Vermifuge Lune

 Selon A. Salacrou, l'idée du Bon Vermifuge Lune naquit le 13 août 1930. « Après le déjeuner, je bavarde avec mon père : - Le succès de la Marie-Rose, c'est très bien, mais surtout pour nous montrer le chemin. Nous devrions lancer une autre spécialité offrant de plus grandes possibilités de vente. Mon père, tout de suite alléché : - Tous les gosses prennent des vermifuges et je possède une excellente formule ne contenant pas de santonine, médicament qui est quelquefois mal supporté. Et c'est une formule de poudre. Alors, pas de verrerie, pas de casse...  -  Existe-t-il déjà des vermifuges poudre ?  -  Je pense bien ! Celui qui se vend le mieux, c'est le vermifuge Soleil. Curieux nom, puisque les mères prétendent que c'est pendant la pleine lune que les vers se manifestent.  - Existe-t-il un vermifuge Lune ? -  Je n'en connais pas. - Fais des recherches et si tu ne trouves rien, dépose tout de suite la marque : Le vermifuge Lune. Non ! dépose la marque : Le bon vermifuge Lune. Il faut toujours aider les acheteurs à bien penser. » (1) 

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A. Salacrou, Dans la salle des pas perdus. « Les amours », Paris, Gallimard, 1976

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jeudi, 22 juillet 2010

Bifur

Le Bifur de Cassandre, lancé par Deberny et Peignot en 1929, occasionna, dans les Divertissements typographiques que la fonderie publiait, une sorte de manifeste que voici: « Ni Cassandre, ni nous, n'avons voulu faire une « jolie chose ». Nous avons « voulu construire un type publicitaire : supprimer de chaque lettre ce qui est inutile à la distinguer des autres, quitte à lui ôter, si on la prend isolément, sa physionomie habituelle. Ce caractère ne prétend point se substituer aux formes du passé. Il marque simplement la croisée des chemins qu'il peut être bon d'explorer plus avant. Lorsque nous eûmes à classer le Bifur parmi les séries existantes, nous avons été amenés à en faire le premier né d'une famille nouvelle : les antiques Didot. »

Plus tard, interrogé sur les raisons pour lesquelles, avec Cassandre, il s'était lancé dans cette entreprise, Charles Peignot s'est expliqué : " Nous avons voulu rompre définitivement avec la typographie d'inspiration Renaissance et d'influence 1900. Il n'existait à l'époque aucun caractère vraiment nouveau. Le Bifur, créé par Cassandre,  que j'éditais en 1929, fut un scandale, au moins dans le petit monde de l'édition et de l'imprimerie. Nous savions bien que c'était une gageure, qu'il n'avait aucune chance de succès commercial. Mais c'était une époque riche, une époque de mécénat, on trouvait de l'argent, on pouvait se manifester et prendre les risques de la création. Il faut lire le catalogue de présentation du Bifur comme un poème : « Seule, une lettre n'est rien. Bifur imprime des mots, des mots qui claquent… » Le dernier mot significatif est OSE, dont Cassandre a fait un très beau dessin. Je l'avais dans mon bureau. Avec le Bifur, nous avons mis un point final à une époque de la typographie mais, en même temps, nous faisions la preuve que le fonctionnalisme poussé graphiquement à son extrême rigueur ne pouvait être une source d'inspiration pour l'avenir de la typographie". 

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mercredi, 21 juillet 2010

Las Meninas

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Diego Velasquez (1599-1660) est le peintre officiel de la cour du roi Philippe IV d'Espagne (1605-1665). Les personnages représentés sur cette toile sont, au premier plan de gauche à droite : Diego Velasquez, les suivantes dona Maria Augustina de Sarmiento, et dona Isabel de Velasco qui entourent l'infante Marguerite, les nains Mari-Barbola et Nicolasito Pertusato ; au second plan, derrière eux, Marcela de Ulloa, gouvernante, et Diego Ruiz de Azcona ; et enfin, le personnage dans le fond est Jose Nieto Velasquez, maréchal du palais.

 

 

 

1. Le thème

Le tableau représente l'atelier de Diego Velasquez, peintre officiel de la cour de Philippe IV monarque espagnol du XVIIème siècle. Le peintre y est représenté en train de travailler à une œuvre dont on ne voit que l'envers. Il est accompagné d'un groupe de courtisans qui entourent une jeune princesse et ses suivantes venues sans doute prendre connaissance de son travail.

2. Le point de vue

Le peintre, le pinceau à la main, cesse un instant de peindre pour contempler son modèle et porte son regard en direction de l'avant du tableau, en ce lieu même où nous, spectateurs. nous trouvons. En ce lieu qui est le point de vue, origine du regard et de l'image, se trouve également le modèle invisible qui pose pour le peintre.

Nous nous trouvons donc dans le contrechamp du regard du peintre. Ce contrechamp est également matérialisé par l'envers de la toile qui figure en amorce.

Nous nous inscrivons donc dans la subjectivité du modèle dont nous sommes appelés à partager le regard. Le point de vue narratif adopté par Velasquez mêle un regard interne à la scène, ou encore point de vue intradiégétique, celui du modèle, avec les point de vue énonciatifs du peintre et du spectateur.

3. La lumière

On voit ainsi se mettre en place un jeu de rôles où le réel, l'imaginaire et le virtuel, le visible et l'invisible, s'organisent autour d'une même question : "Qui regarde qui ?"

L'identification des sources lumineuses et du trajet de la lumière va nous apporter un élément de réponse à cette question. La lumière, comme le regard, introduit un principe dynamique dans l'univers figé de la toile. La lumière introduit le temps dans l'espace de la toile. A chaque source lumineuse peut être affectée une instance narrative.

 

On note tout d'abord que la scène est baignée par une lumière venue d'une fenêtre située sur le côté droit, en avant du tableau, hors champ, voire hors cadre puisqu'elle semble provenir de ce lieu même où nous sommes, nous spectateurs. Cette lumière énonciative, symbolique, et diégétique, réelle, baigne à la fois ou successivement, le modèle invisible qui partage avec nous l'avant-scène, le modèle manifeste, visible, de la toile, l'infante sur laquelle se porte le regard du modèle invisible, puis le bord et le devant, invisible de la toile retournée.

Une deuxième source lumineuse semble provenir de l'intérieur même du mur du fond de la salle et baigne deux personnages dont on pourrait croire qu'ils sont l'objet d'un tableau si justement les tableaux qui les entourent n'étaient eux-mêmes obscurs et illisibles.

Cette source lumineuse, proprement imaginaire, est celle donc d'un miroir qui réflète la lumière qui provient du devant de la scène et les personnages qui s'y trouvent, autrement dit les modèles qui posent pour le peintre dont on comprend qu'il s'agit des parents de la princesse, le roi et la reine.

Le miroir que Velasquez introduit dans son oeuvre donne à voir le regard du spectateur en l'endroit même où il se confond avec le regard du peintre et celui du modèle. Ce lieu virtuel, en avant de la toile, rassemble les trois points de vue réel, imaginaire et symbolique, comme constitutifs du sujet. Le peintre est au seuil du cadre qui sépare l'imaginaire du réel.

Enfin une porte s'ouvre dans le fond sur une pièce attenante d'où provient une vive lumière et révèle la présence d'un personnage qui jette un coup d'oeil vers l'intérieur de l'atelier.

Ce troisième espace est le lieu d'où l'on regarde sans être vu, ou encore lieu double de celui où se représente l'histoire. C'est le lieu symbolique de la représentation.

4. La métaphore du pouvoir

Par-delà le contenu du tableau, scène de retrouvailles familiales où le peintre offre au roi son propre regard, on peut lire dans cette oeuvre une réflexion sur le statut et la fonction du pouvoir et singulièrement du pouvoir de l'image).

En effet, le tableau de Diego Velasquez trouve sa signification autant dans ce qu'il donne à voir que dans ce qu'il met en scène de sa propre représentation. Autrement dit, il engage le spectateur à s'interroger sur les relations complexes qui se nouent entre le modèle, le regard, et l'image dans le travail que le peintre élabore à son intention (ou plus exactement à l'intention du roi...). Où est le pouvoir ? Dans celui qu'on donne à voir ou dans celui qui donne à voir ?

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mardi, 20 juillet 2010

L'Art déco

Le style Art déco tire son nom de l'Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes qui se tint à Paris en 1925, qui ne fut que la réalisation d’un projet datant de 1912, que la Première Guerre Mondiale avait différé. L’Art Déco est un prolongement de l’Art Nouveau en ce sens qu’il s’inscrit comme lui dans une certaine idée qu’on se fait du « moderne » (volonté de répondre aux exigences de son temps par des produits résolument contemporains). Comme lui également, il s’affranchit des règles de la tradition pour se soumettre aux lois de la production en grande quantité, de la distribution et du marché. Mais il est aussi une rupture exprimant l’esthétique adaptée à une nouvelle société et aux fortunes nouvelles qui sortaient des décombres de la guerre de quatorze.  La ville de Reims par exemple, détruite à 80 % pendant la guerre, a été reconstruite en grande partie dans un style architectural Art Déco.

Ce qu’on a appelé « la libération de la couleur » avec le fauvisme et les recherches formelles du cubisme ont influencé grandement cette nouvelle esthétique qui s’est répandue, à cause de l’industrialisation, dans tous les domaines de la vie quotidienne en privilégiant le fonctionnel et en recherchant un accord entre l’art et la machine. En architecture, le béton armé qui devient l’utilisation courante se prête à toutes les formes ; l’éclectisme des bâtiments haussmanniens cède la place aux à la cohérence structurelle et aux volumes géométriques des bâtiments d’entre deux-guerre, normal_sommet-chrysler-building.jpgdont le Chrysler Building new-yorkais est le spécimen le plus abouti avec son toit  évoquant les pare-chocs des voitures de la marque. Le Corbusier et, à Lyon, Tony Garnier incarnent cette tendance.

 

Autant les formes du mobilier de l'Art nouveau étaient ondulantes, très détaillées et prenaient exemple sur la nature, autant celles de l'Art déco se tournèrent vers des formes épurées et essentiellement géométriques, la courbe et la fameuse arabesque tendant à s’incliner devant le profit de l'angle droit, notamment avec le courant De Stijl. L’ébène  fut le bois de prédilection de ces années vingt : on le choisit pour son éclat, ses veines subtiles, presque imperceptibles, ses surfaces lisses et très sombres cirées en douceur afin d’obtenir  les reflets lustrés mettant en valeur les plans et les volumes. L’art du placage, le laqué, le métal chromé sont les techniques et les matériaux mis en avant.

Le mobilier courant en bois massif, élaboré dans une opposition de plans et un jeu de moulures (Djo Bourgeois), est diffusé dans les grands magasins (le rayon Primavera au Printemps, le Studium au Louvre). C'est la vogue des meubles à combinaisons multiples (étagères, armoires standardisées par Francis Jourdain aux Ateliers modernes).

Emile-Jacques Ruhlmann (1879-1933) est un ébéniste phare, qui travaille sur commande et réalise des pièce suniques pour une élite fortunée. C'est lui qui donna son nom à la fameuse brasserie Ruhlmann à New-York. Ses meubles massifs et posés sur un piédestal se reconnaissent facilement.

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lundi, 19 juillet 2010

L'Art Nouveau

Art Nouveau (Modern Style) : Il nait d’un besoin de neuf qui s’empare de la bourgeoisie d’Europe de la fin du XIXème jusqu’à la première guerre mondiale (Belle Epoque), qui ne désire plus imiter l'art de la cour ou la noblesse et les styles du passé, mais vivre confortablement dans un cadre harmonieux, voire, pour les plus esthètes, artistique.  « Par une sorte de fièvre ailée, des hommes en tous lieux se levaient pour combattre les vieilleries ».  Cette citation de Robert Musil dans son roman l’Homme sans qualités résume bien la volonté collective de promouvoir un langage lié au présent, en rupture avec la tradition qui se limitait alors à la reprise des grands styles historiques réduits le plus souvent au rang de curiosité pittoresque ou de nouveauté commerciale. L’Art Nouveau aspire à être en osmose avec les contenus de la société industrielle moderne qui a fait les fortunes de cette bourgeoisie : « Fini le temps des galères, de la marine à voile et des voitures hippomobiles, nous vivons à l’heure des trains, des trams, et des bateaux à vapeur. Finies les lampes à huile et les chandelles, il y a désormais le gaz et l’électricité », écrivait en 1902 Sylvius Paoletti dans L’arte moderna. La maison de Des Esseintes, imaginée par Joris-Karl Huysmans dans son roman À rebours (1884) devient un modèle : l'acte d'habiter peut se transformer en expérience artistique quotidienne.

Aussi, l’Art Nouveau prit son essor dans des domaines très variés : architecture, où il se caractérise par la profusion de nouveau matériau (céramique et fer forgé notamment), en peinture (où il s’inspire du symbolisme de Gustave Moreau et de Puvis Deschavannes), en sculpture (Victor Prouvé), en musique (Debussy et Eric Satie). C’est le mobilier d’intérieur, avec grâce à Michael Thonet (1796-1871) la découverte d’un procédé de pliage du bois qui va populariser et démocratiser l’art nouveau : La chaise n° 14 du catalogue se vend à 45 millions d’exemplaires entre 1859 et 1899 et devient l’emblème de la chaise de café, comme le rocking-chair en bois courbé celui d’une décontraction au goût du jour. Hector Guimard (1867-1942), Emile Gallé (1846-1904) Louis Majorelle (1859-1929) sont des ébénistes marqueteurs créateurs de meubles les plus caractéristiques. La villa Majorelle, construite à Nancy en 1901 1902 par l'architecte parisien Henri Sauvage est un modèle du genre. De fait, on assimile souvent l’Art Nouveau à l’emploi systématique de cette ligne courbe : songez aux arabesques du métro parisien réalisé par Hector Guimard,  aux affiches de Mucha ou d'Eugène Grasset, le créateur de la Semeuse pour Larousse. Chez les créateurs les plus talentueux, cette ligne courbe exprime la vitalité, la puissance germinative de la plante, de la branche et de la racine comme le dit Emile Gallé dans son ouvrage Le Mobilier contemporain orné d'après la nature, paru en 1900, pour qui la nature « prête à l'artiste bien d'autres choses que les lombrics et ténias, les pseudo-varechs et les vermicelles affolés dont on a pensé faire avec beaucoup de talent, à l'occasion de 1900, un berceau où abriter le XXème siècle »

 

En typographie, c'est George Auriol (1863-1938) qui crée les caractères spécifiques à l'Art Nouveau dont s’inspira Hector Guimard pour le lettrage de ses stations de métro : Auriol Champlevé (1904), Française légère (1902), Clair de Lune (1904-1911) et Robur (1904-1911), tous de la famille des manuaires, pour la fonderie de Georges Peignot (1872-1915). « La difficulté de marier le caractère à un dessin irrégulier et le goût parfois mauvais des imprimeurs, a déclaré Auriol dans L’Imprimerie et les procédés de gravure au XXe siècle (1906),m’ont conduit à dessiner des lettres qui, après diverses transformations sont devenues typographiques.»

L’art nouveau touche aussi la philatélie, la céramique, les bijoux, les vitraux, qui retrouvent toute leur place dans l'architecture avec le verre Tiffany qui capture la lumière : synonyme d’opulence et de profusion, enfant aussi de l’Europe colonisatrice, il sera rejeté après guerre par les dadaïstes, les surréalistes et les membres du Bauhaus qui façonneront une autre esthétique.

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