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Avignon (Jacno - 1950)

Avignon (Jacno - 1950)

Né à Paris, le 6 août 1904, le graphiste Marcel Jacno connut une réussite tardive, mais éclatante. Très doué pour le dessin, rebelle à tout enseignement, il fut engagé vers 1926-1927 dans une imprimerie spécialisée dans la fabrication de plaques de rues et de panneaux de circulation, et travailla sous la direction d'un peintre en lettres qui – écrit-il dans son autobiographie, Un bel avenir (M. Nadeau / Papyrus, 1981) – lui « expliqua les subtilités formelles de l'alphabet ». Cette première expérience devait orienter ses choix de façon décisive, après quelques incursions peu convaincantes dans le domaine de l'affiche. Il réalisa, en effet, pour Gaumont, quelques affiches et des annonces marquées par l'influence expressionniste (Lulu, de Pabst, avec Louise Brooks, La Valse des adieux avec Pierre Blanchard, des films de Charlie Chaplin...).

Mais ces commandes arrachées à la célèbre société de production furent pour lui décevantes car elles restèrent sans lendemain. Et lorsqu'il découvrit, dans le hall du célèbre cabaret "Le Bœuf sur le toit", un panneau argenté sur lequel figurait l'alphabet Bifur, créé par Cassandre pour la fonderie Deberny-Peignot, il comprit que la lettre pouvait être un objet de création. Ses travaux épisodiques au service du cinématographe trouvèrent un aboutissement singulier, puisqu'ils lui donnèrent l'idée de créer un caractère original - le Film (1934), immédiatement accepté par Deberny-Peignot.

À la suite de ce premier alphabet, il inventa le Scribe (1936), le Jacno (1948), l'Hippocrate (1950), le Brantôme (1951)... et, enfin, le Chaillot (1951), qui porte le nom du lieu où officiait le Théâtre national populaire.
La création d'un caractère procède tout autant d'une suite de calculs que d'une réalisation graphique. Le dessin de chaque lettre doit tenir compte de celui des vingt-cinq autres afin de permettre l'organisation d'ensembles satisfaisants pour l'œil. Ce travail minutieux impliquait un repliement sur soi qui correspondait bien au tempérament de Jacno. Cette longue fréquentation de la lettre devait déterminer le style de l'affichiste qu'il allait redevenir, et avec quelle originalité ! Cet art de la lettre, il l'avait également savouré en connaisseur, lors d'un séjour à New York en 1938, où il admira les enseignes. Là, les inscriptions « n'étaient pas peintes comme chez les Méditerranéens », mais « étaient de superbes sculptures typographiques ». Dans la grande ville américaine, il retrouva Cassandre et fit la connaissance du précurseur du design, Raymond Loewy, qui, entre autres multiples réalisations, renouvela la présentation du paquet de cigarettes Lucky Strike. En dessinant le nouveau paquet de Gauloises caporal, en 1946, Marcel Jacno devint, sans pour autant obtenir la notoriété auprès du grand public, l'auteur d'une œuvre graphique signée dont les tirages restent insurpassés à ce jour en France : 70 millions d'exemplaires mensuels ! L'emballage et l'étiquette deviennent alors ses terrains d'élection : il travaille pour Révillon, Harriet Hubbard Ayer, Courvoisier, Guerlain, crée des couvertures de collection pour des éditeurs – Plon, Denoël –, couvertures qui contribueront à renouveler l'image de marque de ces entreprises.
En 1951, il rencontre Léon Gischia, qui créait pour Jean Vilar des costumes et des éléments scéniques, dans le cadre des activités du Théâtre national populaire. Léon Gischia, à qui on avait tout naturellement demandé de réaliser des affiches, proposa le travail à Marcel Jacno qui, cette fois, était armé pour faire œuvre originale. C'est ainsi qu'il créa pendant vingt ans, pour Jean Vilar puis pour Georges Wilson, son successeur au T.N.P., des affiches qui reposaient essentiellement sur des agencements typographiques. L'image y était le plus souvent réduite à son expression la plus simple, mais aussi la plus efficace.
En fait, le Chaillot, ce nouveau caractère créé en 1950, tirait son origine des lettres et des chiffres évidés alignés sur des règles de plastique, qui offraient la possibilité – aux commerçants, en particulier – de faire des annonces dont l'effet se rapprochait de celui de la typographie. Le caractère fruste du procédé « par remplissage » permit à Jacno de donner un aspect brut aux affiches, ce qui allait dans le sens de la « monumentalité » requise pour le théâtre dirigé par Jean Vilar.

Cette série de réussites lui valut de recevoir de nombreuses commandes de la part du théâtre des Nations, de l'Opéra, de la Comédie-Française... Puis, en 1974, le metteur en scène Peter Brook lui demanda de composer les couvertures de sa collection Créations théâtrales. Dans le même temps, Jacno exécutait des mises en pages raffinées : celle de la Bible (1950), de La Conquête de Constantinople de Villehardouin (1952), des Dames galantes de Brantôme (1953), celles du Picasso (1955) et du Nicolas de Staël (1959) édités par Fernand Hazan. En 1969, il réalisait l'en-tête définitive de France-Soir. Cette carrière « visiblement » réussie, qui demeura pourtant anonyme pour le plus grand nombre, fut jalonnée de récompenses, elle trouva son couronnement en 1981 avec un doctorat d'université, après que le graphiste eut soutenu en Sorbonne une thèse sur l'« ...anatomie de la lettre », ultime hommage aux alphabets qui avaient hanté son existence.